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autels d’Apollon. Ses vues théologiques n’en sont pas moins élevées, hardies, quelquefois même nouvelles. C’est ce que démontrent et sa polémique contre la superstition et la méthode d’après laquelle il expliquait par les lois ordinaires du monde physique et moral les merveilles et les révélations surnaturelles du paganisme.

Le traité sur la superstition éclaire d’un jour très vif l’état déplorable où la corruption du paganisme avait précipité les âmes faibles et timides. Ce livre présente des tableaux d’une réalité saisissante. L’auteur y peint, avec des couleurs comparables à celles de l’Espagnolet, ce qu’il nomme l’ulcère purulent de la superstition. Le médecin de l’âme se donne carrière : il découvre, il sonde, il presse, il fait saigner la plaie qu’il veut guérir. A l’en croire, le riant et poétique polythéisme d’Homère s’était évanoui comme un beau rêve. Un fanatisme fiévreux et égaré ne voyait plus dans les dieux paternels et bienfaisans des ancêtres que des puissances violentes et cruelles. Adieu les joies, les allégresses, les espérances qu’apportaient les fêtes gracieuses et les pompes des brillantes cérémonies ! Toutes les douces émotions religieuses avaient fait place à un sentiment unique, la terreur. Le dévot païen était sans cesse en. proie aux angoisses de l’épouvante. — Il craint tout, dit Plutarque, la terre et le ciel, les ténèbres et la lumière, le bruit et le silence. Pour lui, point de repos ; le sommeil ne lui apporte que-des songes horribles. À son réveil, il court demander le sens de ces visions à des fourbes qui le rançonnent et le renvoient chez les sorcières apprendre le secret des incantations purifiantes. Instruit par ces vieilles, il se plonge dans la mer, il se meurtrit le front contre la terre, il se tient des journées entières sur le seuil de son logis, immobile comme un poteau, tantôt enveloppé d’un sac, tantôt couvert de guenilles infectes, ou bien il se roule tout nu dans la boue et dans l’ordure, tout cela pour expier des forfaits souvent imaginaires. Entre-t-il dans un temple ; à le voir livide et frémissant, vous croiriez qu’il pénètre dans l’antre d’un dragon. Trouvera-t-il du moins la paix dans la tombe ? Non ; il n’entrevoit au-delà de la mort que juges, bourreaux, fleuves enflammés, éternels supplices. Quand le malheur l’écrase, il n’accuse ni les choses, ni les hommes, ni lui-même : il ne s’en prend qu’à Dieu. C’est Dieu qui pour se venger détruit ses biens, ruine ses entreprises, l’accable de maladies et tue ses enfans. Au lieu d’opposer au destin une âme courageuse et virile, il s’abandonne lui-même et ne sait que gémir. Il redoute les dieux et les implore ; il les prie et les accuse ; il les flatte et les calomnie. C’est un infortuné ; bien plus, c’est un blasphémateur et un impie. — Voilà certes une description pleine de vie ; on juge qu’elle a dû être ressemblante, ou plutôt qu’elle l’est encore, car, bien que,