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mens de la famille et les vertus du citoyen, mais encore rajeunir cet instinct profond et mystérieux où s’alimente la vie religieuse. Notre philosophe alla donc exercer son ministère jusque dans le temple d’Apollon. Aux approches de sa mort, l’activité de Plutarque se renferme de plus en plus dans les limites du sanctuaire de Delphes. C’est là, sous les portiques de marbre, à l’ombre des grands rochers ou sous les bosquets de myrte, qu’il place la scène de ses dialogues théologiques. Il s’y représente lui-même guidant les pèlerins dans les nombreux détours de l’enceinte sacrée, leur montrant les lampes, les trophées, les vases, les statues accumulées dans les chapelles par la piété des dévots, et expliquant aux hommes de son temps le sens obscur des inscriptions hiératiques. Enfin il nous apprend quelque part qu’il remplissait les fonctions de prêtre d’Apollon, que, le front ceint d’une couronne, il offrait les sacrifices, menait les processions et les chœurs de danse et dirigeait l’oracle. Que penser de ce philosophe mourant enveloppé dans les plis d’une robe de grand-prêtre ? Était-ce un politique habile, ou un sceptique jouant la comédie, ou bien un pauvre vieillard dont la raison pliait sous le double poids de son grandi âge et de la décrépitude de son pays ?

Rien de tout cela. Plutarque est par les dates le premier de cette série de philosophes qui dans les commencemens de notre ère ont successivement remué les cendres du paganisme presque éteint pour en faire jaillir quelques flammes ou du moins quelques étincelles. Il en est aussi le premier, non par la vigueur métaphysique, mais par la justesse de l’esprit pratique et par le sentiment exact et vrai des possibilités du moment. Quoi qu’en disent certains critiques, il n’a point rêvé la restauration du polythéisme, et c’est là une des marques les plus frappantes de la supériorité de son intelligence. En effet la restauration des religions est la plus folle des chimères ; l’inspiration qui les créa pourrait seule leur rendre la vie, et cette inspiration merveilleuse, personne n’en dispose à son gré. On est d’ailleurs dupe des apparences quand on confond deux choses aussi différentes que le l’établissement matériel d’un culte et la régénération d’une foi. Celui qui avec des millions a couvert une grande ville de temples est-il assuré d’avoir suscité un seul croyant ? Plutarque comprenait de reste que le paganisme agonisait. Trop Grec, trop bon patriote pour le renier, mais trop clairvoyant pour se flatter de le rétablir dans l’intégrité primitive de ses dogmes, il se borne à en recueillir les élémens vrais et à les coordonner dans le cadre d’une religion scientifique. C’est ainsi qu’il a pu sans hypocrisie et avec la sérénité de la conviction la plus honnête terminer une carrière de philosophe au pied des