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déterminées que grâce à de récens travaux. On le sait maintenant, la constitution primitive de la famille grecque était exclusivement religieuse. Très solidement appuyée sur certaines croyances, elle manquait en revanche de fondemens psychologiques et moraux, et c’est par ce défaut d’équilibre que s’explique l’étrange effacement du rôle de l’épouse dans la société antique. Chaque famille se regardait comme le sanctuaire d’une divinité particulière dont le foyer était le symbole visible et dont le mari était le prêtre. Le foyer ne devait jamais s’éteindre ; la succession sacerdotale, transmise de mâle en mâle, ne pouvait souffrir d’interruption. L’extinction d’une famille n’eût été rien moins que l’anéantissement d’un culte. Il fallait donc à tout prix que la famille fût continuée, que le père eût un fils héritier de son ministère sacré, et que ce fils fût légitime. Dès lors le mariage perdait en partie le caractère moral qui lui est propre : cette union intime de deux êtres associés afin d’être heureux l’un par l’autre et par leurs enfans n’était plus qu’un moyen d’avoir une postérité, surtout d’obtenir le rejeton mâle qui seul était capable de remplir après la mort du père les fonctions sacerdotales du foyer. La formule sacramentelle prononcée dans l’acte du mariage le disait du reste expressément[1]. Dans une institution ainsi conçue, la femme physique ou, qu’on nous passe le mot, la mère corporelle suffisait. Une seule qualité morale lui était nécessaire : la chasteté. Les autres mérites comptaient peu, si même ils n’étaient regardés comme redoutables. Vainement la femme était affectueuse, charmante, tendrement aimée ; si elle n’était pas féconde, on la répudiait. Quand l’union était stérile par le fait du mari, un frère, un parent prenait sa place, et, quelle que fût sa répulsion, la femme était obligée de se livrer à cet homme afin que la lignée ne périt pas et que le culte fût maintenu. Puis, l’enfant né de là était considéré comme issu du mari. En vertu d’une autre application du même principe, la femme adultère était punie de mort par l’homme qu’elle avait trompé, pour avoir introduit un profane et un étranger dans le sacerdoce domestique. Aussi dispensait-on l’épouse de tout attachement passionné pour son mari et de tout désir trop vif de lui plaire, de peur que l’idée ne lui vint d’être un jour agréable à quelque autre que lui. Un des personnages du dialogue de Plutarque sur l’amour soutient avec véhémence qu’une femme ardemment éprise de son époux n’est qu’une effrontée. Pourtant le mariage était obligatoire et le célibat puni. L’union conjugale, dépouillée au nom de sa sainteté même de ses joies les plus

  1. Cette formule était en grec : παιδών έπ’ άρότω γνησίων, et en latin : liberum quærendorum causa, pour avoir des enfants légitimes. — Tous ces points ont été parfaitement établis par M. Fustel de Coulanges dans son savant livre sur la Cité antique.