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les autres. Plutarque était resté Grec dans l’âme. Il n’apprit le latin que fort tard. On a remarqué dans ses Vies parallèles un penchant à face la part plus belle aux héros de son pays. Il avait conservé une jeunesse de cœur, une fraîcheur de sentimens, un besoin d’aimer et d’améliorer les hommes, qui devaient malgré tout le pousser à chercher une atmosphère morale moins lourde et moins impure que celle de Rome. Il jugeait d’ailleurs sévèrement les hommes qui ne savent pas rester chez eux, et les comparait à ces libertins « qui laissent là leur femme légitime pour courir après les courtisanes. » Enfin le médecin de l’âme espérait sans doute obtenir de plus nombreuses guérisons en opérant sur ses compatriotes et au milieu des bienfaisantes influences de l’air natal. Il revint donc à Chéronée et s’y maria.

Il épousa une personne d’une famille honorable nommée Timoxène, dont il eut quatre fils Autobule, Chéron, Lamprias, qui a donné le catalogue des ouvrages de son père, et Plutarque, qui fut un homme de mérite et de savoir. Il en eut aussi une fille nommée Timoxène, comme sa mère. Cette enfant étant morte à l’âge de deux ans, Plutarque, alors absent, écrivit à sa femme une lettre de consolation que l’on a conservée, et qui nous introduit jusque dans la vie intime du philosophe. On sent, en la lisant, que les deux époux étaient dignes l’un de l’autre, et qu’ils gagneraient encore à être plus connus. Une femme d’un esprit original et qui avait vu de très près la cour du premier empire disait un jour en parlant de Napoléon Ier : « Certes c’était un grand homme, mais, ce n’était pas un grand mari. » Chez Plutarque, le père et le mari étaient à la hauteur du moraliste. Sa tendresse pour sa femme est à la fois vive et contenue, profonde et éclairée. À la façon dont il lui écrit, on comprend qu’il l’avait choisie parmi les plus intelligentes, qu’ensuite il l’avait instruite et élevée lui-même d’après un idéal que la Grèce antique n’avait pas connu. Il lui parle un langage que l’instinct n’entendrait pas, mais qui touche et fortifie les natures d’élite. « Gardons-nous, dit-il, de calomnier la vie, parce que dans une suite d’événemens heureux il s’en trouve un de néfaste, pareil à une rature dans un livre bien écrit. » Cette curieuse lettre, pour dévoiler le cœur affectueux de Plutarque, révèle plus encore peut-être l’effort continu du penseur qui, dans les traités sur l’amour et sur les préceptes du mariage, cherche à fonder l’association domestique sur ses bases véritables, et à la guérir du mal dont depuis des siècles elle était dévorée.

Ce mal, c’était la situation inférieure, presque subalterne de la femme au sein de la famille grecque. La connaissance de ce fait important est d’ancienne date ; toutefois les causes n’en ont été bien