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avait égalé l’héroïsme des soldats. Pendant que Philippe, à la tête de son aile droite, engageait avec les Athéniens un combat, longtemps indécis, Alexandre, à l’aile gauche, chargeait le bataillon sacré des Thébains. En ce lieu où j’étais assis, cette troupe d’élite, composée de trois cens amis, périt tout entière en s’acharnant à briser la phalange macédonienne. Après la bataille, dit Plutarque, Philippe, parcourant le champ du carnage, s’arrêta à l’endroit où gisaient les trois cens ; tous avaient la poitrine percée de coups de pique, et c était un monceau confus d’armes et de corps réunis et serrés. Il contempla cette scène, avec stupeur, et, apprenant que c’était là le bataillon sacré des amis, il leur donna une larme et dit ce mot : Périssent misérablement ceux qui soupçonneraient de tels hommes d’avoir fait ou enduré, rien de contraire à l’honneur ! Le colosse de pierre, dont je dessinais les débris, marque la place de leur tombeau. On en a la preuve dans un texte où l’impassible Pausanias semble s’être presque attendri. En approchant de Chéronée, dit-il, on trouve la tombe commune des Thébains morts en combattant contre Philippe. On n’y a pas inscrit d’épitaphe, mais on y a placé un lion afin de rappeler la valeur de ces héros, et si l’épitaphe manque, c’est, je crois, parce que la divinité ne récompensa pas leur audace. Pendant que j’essayais d’évoquer l’image des soldats ensevelis à mes pieds et que j’y réussissais presque, tant est puissante la magie des souvenirs excités à l’aspect des lieux mémorables, la nuit avançait à grands pas. Je me levai et je gagnai Chéronée, où m’attendaient mes compagnons. En ce moment, et sous l’impression qui me dominait, pour moi comme pour la plupart des personnes lettrées plutôt que savantes, il n’y avait qu’un Plutarque l’historien des grands hommes de l’antiquité.

Il y en avait pourtant un autre, duquel, à vrai dire, procède le premier. Ce Plutarque moins connu, moins populaire, quoique Amyot l’ait aussi traduit, cet auteur des Œuvres morales, si curieux à lire, si intéressant à étudier, ne tarda pas à m’être rappelé, dès que j’entrai dans la paisible et patriarcale Chéronée d’aujourd’hui, par son successeur dans les fonctions de premier magistrat municipal. Le démarque en effet, c’est-à-dire le maire, nous aborda au détour d’une rue, et, après nous avoir demandé cordialement des nouvelles de la France, il nous invita, pour, le soir même, au bal de noces de deux jeunes époux auxquels il avait le matin conféré le mariage civil. Il n’en fallut pas davantage pour faire défiler devant ma pensée les titres de tous ces excellons écrits de morale domestique que Plutarque a composés sur les préceptes du mariage, l’amour des parens pour leurs enfans, l’amour fraternel et aussi sur l’amour sans épithète. Pendant notre dîner, qui fut