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jours pour les places qu’il détient encore. Le brigand, ayant fait cette faveur au roi, en est remercié avec une sorte d’effusion. Il est nommé capitaine de cinquante hommes d’armes, et reçoit des lettres générales d’abolition pour tout crime et méfait, Henri IV « l’acceptant d’autant plus libéralement dans ses bonnes grâces qu’il le sait vrai et naturel Français, incapable de vouloir attenter à l’usurpation et démembrement de l’état. Par ces considérations et pour être agréable au sieur de Fontenelle, qui lui en a exprimé le désir, le roi s’engage à ne jamais permettre dans les places pour lesquelles il a traité que l’exercice de la religion catholique, apostolique et romaine, entendant d’ailleurs lui faire toutes les concessions stipulées par son édit en faveur du duc de Mercœur, tout ainsi que s’il y était lui-même compris et reconnu. » Enfin le roi le tient quitte « lui, tous ses officiers et soldats, de tous crimes, maléfices, meurtres, bruslemens, notamment de la prise de Penmarch, de Coëtfrec, de Granec, Guerrand, etc., entendant aussi spécialement l’excuser pour l’enlèvement de sa femme, abolissant la mémoire de tous ces faits. »

Les guerres civiles sont le grand écueil de la morale publique ; ces lettres d’abolition en portent un triste témoignage. Le parlement de Bretagne dut les enregistrer d’ordre royal ; mais ses vives remontrances firent comprendre à Henri IV que la conscience des peuples ne ratifie pas toutes les conventions imposées par les calculs politiques. Aussi trois années ne s’étaient pas écoulées que la justice royale faisait saisir Fontenelle en arguant de sa participation à la conspiration du maréchal de Biron, et, quoique ce crime-là soit demeuré aussi problématique que ses crimes antérieurs étaient avérés, il fut roué vif en place de Grève en 1602, le roi préférant une condamnation peu motivée à une impunité scandaleuse.

La clémence fut pour Henri IV un système dont ce prince s’exagéra plus d’une fois les nécessités ; mais il reprenait vite sur les institutions tout le terrain qu’il avait perdu pour se concilier les personnes. Gardant un souvenir amer des assemblées délibérantes depuis les états de Blois, sur lesquels avaient soufflé les passions de la ligue, jusqu’aux conseils de ville, qui avaient été les principaux instrumens de la résistance à son autorité, il substitua des notables choisis par la couronne aux états-généraux choisis par le pays, et commença contre les libertés municipales une lutte qui souleva en Bretagne des résistances opiniâtres. Quelle influence exercèrent les guerres civiles sur la constitution particulière de ce pays, et quel contre-coup le triomphe de la royauté eut-il sur cette constitution elle-même ? C’est à l’étude.de cette question que je me trouve conduit par le cours des événemens.


Louis DE CARNE.