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constitutionnelle un souverain qui nierait la constitution ? La haute raison de ce prince lui avait fait comprendre tout cela bien avant son avènement au trône. Sa correspondance ne laisse aucun doute sur ce point[1]. Ce qui résulte également des faits les mieux établis, c’est qu’au mois, d’août 1593 les affaires du roi, d’abord prospères, étaient retombées dans une situation si périlleuse qu’il lui fallait ou désespérer du succès ou donner suite sans plus de retard à sa promesse de se faire instruire. L’abjuration de Saint-Denis fut imposée au monarque par une impérieuse nécessité, et c’est la première victoire constatée de la souveraineté populaire sur le droit héréditaire.

Lorsque la France était généralement résolue à n’obéir qu’à un roi catholique, il n’y a pas à s’étonner que la Bretagne se montrât généralement aussi irréconciliable avec la royauté protestante. Malgré la courageuse attitude du parlement de Rennes, malgré la fidélité des garnisons françaises dans les villes closes, on peut dire que le pays avait échappé à Henri IV sans aucune intention de se détacher de la monarchie. Dans sa durée de sept années, la guerre civile passa dans cette province par deux phases fort distinctes : elle fut soutenue avec ardeur par toutes les classes de la société jusqu’à l’acte religieux qui fit tomber la barrière élevée entre la France et son roi ; mais à la lutte où elle s’était engagée par conscience, par devoir, succéda, de 1593 à 1597, une épreuve terrible. La Bretagne, occupée par les Anglais et les Espagnols et pillée par des brigands, vit renaître pour elle les souffrances des grandes invasions barbares. Le fer, le feu, la famine et jusqu’aux bêtes féroces attirées par le meurtre et la dévastation torturèrent ce malheureux petit peuple. La guerre civile devint enfin dans cette région retirée une lucrative spéculation pour des monstres que le duc de Mercœur dut ménager faute de pouvoir les faire pendre, et que Henri IV se trouva conduit à traiter avec beaucoup plus de faveur qu’il n’en aurait accordé à des belligérans réguliers.

Je ne me propose pas de faire l’histoire de la ligue en Bretagne, et j’ajoute que cette époque attend plutôt un romancier qu’un historien. Les événemens s’y déroulent dans une suite d’épisodes pittoresques auxquels manque la vraisemblance, lors même que la vérité en est le mieux constatée. Le peuple qui occupe cette scène sauvage unit à de naïves et touchantes vertus une sorte d’impassibilité qui le conduit à commettre comme à endurer des atrocités sans exemple. Surprises de places, dans lesquelles la ruse ne joue pas un moindre rôle que la force, défis chevaleresques qu’aurait

  1. On peut voir entre autres, au tome II de la collection des Lettres historiques de Henri IV, la lettre à MM. de la faculté de théologie au collège de Sorbonne, 2 octobre 1585, et la déclaration à MM. du clergé, de la noblesse et du tiers-état, du 1er janv. 1586.