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Louis IX jusqu’à Louis XIV constitua la foi politique de la magistrature française ; de l’autre, ces magistrats étaient si parfaitement convaincus de l’impossibilité où serait Henri IV de gouverner son royaume sans embrasser la religion des neuf dixièmes de ses sujets, qu’ils ne mettaient point en doute sa conversion prochaine, se refusant dès lors à sacrifier une loi fondamentale à un embarras momentané. Jusqu’à son abjuration de Saint-Denis, attendue quatre ans, le parlement et les états de Bretagne rappelèrent chaque année au roi en termes respectueux, mais fort nets, sa promesse de se faire prochainement instruire, promesse sans laquelle il aurait été abandonné au camp de Saint-Cloud par la presque totalité de la noblesse catholique, et qui lui avait concilié, dès le jour de son avènement, l’adhésion des cinq sixièmes de l’épiscopat français.

Lorsqu’en s’isolant du milieu dans lequel nous vivons aujourd’hui on se replace par la pensée dans l’atmosphère de ce temps, on comprend quelles angoisses le problème posé par l’avènement du roi de Navarre dut susciter alors dans les consciences. Violer la loi fondamentale de l’hérédité monarchique au détriment du chef de la maison de Bourbon, c’était livrer la France à des perturbations sans fin et provoquer les prétentions très périlleuses de l’Espagne, qui se prévalait du droit des femmes ; mais quelles perspectives ne présentait pas d’un autre côté le parti contraire ! La proclamation d’un prince protestant dans une monarchie catholique constituait dans l’ordre politique comme dans l’ordre religieux une révolution immense à laquelle rien n’avait encore préparé la conscience publique. Je m’étonne que le savant historien de Henri IV ait pu assimiler sérieusement, en matière de liberté religieuse et d’organisation sociale, la France de 1589 à la Belgique de 1831, et croire qu’un pareil changement aurait été sans conséquence au XVIe siècle parce qu’il n’a eu nulle importance au XIXe[1]. Dans une société où les décisions des conciles avaient le caractère de lois de l’état, où le souverain, se qualifiant d’évêque du dehors, recevait à Reims le sacrement de la royauté, substituer à l’union intime des deux puissances une séparation dont aucun esprit n’avait encore conçu l’idée, c’était provoquer un bouleversement tout aussi radical que pourrait l’être de nos jours la substitution du droit canon au code civil et de la législation criminelle de saint Louis à celle du code pénal. Henri IV aspira de bonne heure sans doute à devenir un jour le roi d’une transaction, mais il ne pouvait remplir ce rôle que dans la plénitude de sa force et après l’avoir conquise en se mettant d’accord avec la majorité de ses sujets. Quelle autorité morale aurait de nos jours dans une monarchie

  1. M. Poirson, Histoire du règne de Henri IV, t. Ier.