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du roi[1]. » D’autres mémoires contemporains complètent les détails relatifs à cette surprise. Dans ceux du capitaine de Montmartin, ardent calviniste, nous voyons le sénéchal de Rennes, Me Guy Le Menneust, et les présidens Barin et Harpin courir fort vertueusement les rues armés d’une hallebarde, ameutant au cri de vive le roi, « qui semblait venir du ciel, » tous les suppôts de la justice dont foisonnait la ville, et procédant eux-mêmes à l’arrestation des principaux ligueurs surpris et confondus. Le succès de cette journée paraît à Montmartin tenir du miracle, « Dieu ayant manifestement jeté l’œil de sa miséricorde sur la malheureuse Bretagne, qui semblait entièrement perdue, de telle sorte que tout se trouva réduit sous l’autorité du roi en son pristin état et ordre[2]. »

Lorsque les membres du parlement se sentirent raffermis sur leurs sièges, leur premier soin fut de décréter le duc de Mercœur rebelle et criminel de lèse-majesté. D’autres arrêtés ne tardèrent pas à atteindre tous ses partisans, et autorisèrent les fidèles sujets du roi à saisir, même sans le ministère de la justice, leurs personnes, biens, terres et maisons. Le parlement fit injonction à la chambre des comptes siégeant à Nantes d’avoir à se transporter immédiatement à Rennes sous peine de forfaiture ; enfin il défendit, sous peine de mort, d’obéir à d’autres ordres que ceux qui seraient donnés par les deux lieutenans-généraux, MM. de La Hunaudaye et de Fontaines, et pour la ville par M. de Montbarot[3]. Afin de défendre cette vieille place, entourée de campagnes soulevées, Montbarot dut déployer les dons les plus rares de l’esprit militaire. Les magistrats, soutenus par leur foi inébranlable dans l’autorité monarchique, acceptèrent sans hésiter les périls d’une lutte où il y allait pour chacun d’eux de la fortune et de la vie. De tels hasards ne s’affrontent pas sans surexciter les passions chez les plus honnêtes. Aux fureurs de la guerre par les armes ne tardèrent pas à répondre les violences de la guerre par les arrêts. Le parlement de Rennes et celui que Mercœur s’était hâté d’instituer à Nantes rendirent bientôt l’un contre l’autre des sentences infamantes, conviant les citoyens au meurtre et à la spoliation, les provoquant à courir sus d’une part aux ennemis de la monarchie, de l’autre aux ennemis de la religion.

Un jour, c’était au commencement du mois d’août 1589, le parlement, aux mains duquel ont passé tous les pouvoirs, est informé que le sénéchal de Fougères vient d’arriver à Rennes porteur d’une communication du duc de Mercœur. Ce prince fait savoir aux

  1. Journal de Pichart, col. 1699.
  2. Mémoires de Jean du Matz, seigneur de Terchant et de Montmartin, gouverneur de Vitré, dans le Supplément aux preuves, CCLXXVIII.
  3. Registres du parlement de Rennes, arrêts des 7, 12, 21 avril 1589.