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attendait à la porte. Il trouva son maître, la tête dans ses mains, à demi couché sur la table placée devant lui. Wilmot leva les yeux, balbutia quelques mots inintelligibles, et, saisissant son chapeau, s’élança vers la porte. Le valet, tout consterné, annonça aux autres gens de la maison que « monsieur » lui semblait sur le chemin des Petites-Maisons. Et tout cela, quelle édification ! parce qu’il avait eu le malheur de perdre sa femme.


X

M. Foljambe, surpris au plus haut point et presque scandalisé de la soudaine disparition de son filleul, ne pouvait se résoudre à l’interpréter comme tout le monde. L’idée lui vint d’aller aux enquêtes chez lady Muriel. La belle dame lui fit le meilleur accueil, mais demeura impénétrable. Madeleine assistait silencieuse à cet entretien, qui, savamment mené des deux parts, finit par ressembler à une passe d’armes diplomatique. Tandis que le banquier, plaidant le faux pour savoir le vrai, s’attachait à expliquer le départ de Wilmot par une soif d’informations qui, poussée trop loin, lui ferait compromettre l’avenir de sa profession, tandis qu’il le représentait comme attiré à Berlin par le désir d’y constater certains progrès de la science médicale, son habile interlocutrice ramenait toujours la question sur un autre terrain : partant de l’opinion, généralement admise, que le jeune médecin s’était exilé pour se distraire des amers soucis du veuvage, elle s’informait de Mabel, de cette jeune femme si violemment regrettée ; — elle s’étonnait que M. Foljambe l’eût si peu connue et le pressait là-dessus de questions passablement embarrassantes. Madeleine assistait à ce duel d’esprit sans être en état de juger les coups, absorbée qu’elle était par une réflexion douloureuse. Ce médecin si zélé, dont le dévouement lui avait été si précieux, l’abandonnait maintenant, et sans que cet abandon s’expliquât très nettement pour elle. Fallait-il donc croire qu’il était resté auprès d’elle, à Kilsyth, non par affection personnelle, comme elle avait pu s’en flatter, mais uniquement afin de résoudre en la guérissant un problème scientifique ? Ce doute, qui la préoccupait au-delà de toute mesure, lui causait une sorte d’angoisse. L’idée que l’absence de Wilmot pouvait se prolonger indéfiniment la jetait dans de véritables transes. A toutes ces agitations intérieures, elle ne comprenait encore absolument rien. Jamais il ne lui était venu en tête qu’elle pût aimer Wilmot. En lui, elle avait tout simplement trouvé la réalisation à peu près complète de ses idées tant soit peu romanesques sur l’abnégation, la grandeur viriles. Il ne ressemblait aucunement aux chasseurs, aux agriculteurs dont se composaient en grande majorité les visiteurs