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qui bien évidemment partait du cœur, Wilmot s’inclina de nouveau sans rien ajouter.

— Malgré cela, continua Ronald, je ne vois guère ma famille, le train de vie qu’elle mène n’est pas de mon goût ; mais je ne suis pas de ceux qui n’aiment les gens qu’à la condition de ne pas les perdre de vue. Je ne comprends même pas ce genre d’affection ; la mienne est indépendante de tous rapports quotidiens, ceci pour vous expliquer comment il se fait qu’en dehors des six semaines ou deux mois que dure la « saison » de Londres je me trouve très rarement avec les miens… comment il se fait aussi que, retenu par mon service, j’étais aux mois d’août et de septembre derniers éloigné de ma sœur, auprès de qui on vous avait appelé. Votre réputation, arrivée jusqu’à moi, n’a pas été sans influence sur ma détermination de rester ici. Quand j’appris que vous aviez été mandé par mon père, je me sentis tout à coup rassuré. Votre zèle, votre dévouement dont j’entendais parler avec toute sorte d’éloges, m’inspirèrent une vive reconnaissance… jusqu’au moment où j’en vins à me questionner sur le sacrifice tout à fait extraordinaire que vous faisiez, tant de vos loisirs que de vos intérêts, au salut de notre chère Madeleine… Par le fait, monsieur, quels motifs vous y poussaient ?

En même temps qu’il lui adressait cette question, Ronald s’était brusquement tourné vers Wilmot et le regardait droit dans les yeux. Un léger tressaillement, une rougeur imperceptible, furent toute la réponse du jeune médecin.

— Allons, reprit Ronald, ne soyons pas franc à demi ! .. Je vous demande une chose que je sais, que j’ai apprise avant même votre départ de Kilsyth. Dès cette époque, il me fut révélé que ma sœur avait inspiré, — on ne disait pas à qui, — un sentiment assez vif, un sentiment auquel il ne lui était pas permis de répondre. Je cherchai le mot de l’énigme, je le cherchai avec passion, car, je vous l’ai dit, j’aime Madeleine plus que ma vie… Mes informations, prises de tous côtés, ne m’avaient encore rien appris, lorsqu’un soir vous vîntes me trouver au club. A peine étions-nous en présence que je ne cherchai plus à deviner ; j’étais certain de mon fait.

Nouvelle pause. Ronald semblait attendre quelques mots de son silencieux auditeur. Wilmot, étourdi de cette brusque franchise et ne pouvant la payer d’un mensonge, persistait à se taire. Ses yeux baissés répondaient pour lui.

— Ma surprise fut aussi grande que ma certitude était complète, poursuivit résolument le capitaine. Le§ hommes de votre profession, surtout ceux qu’elle a élevés à votre rang, sont investis d’une confiance presque absolue. Cette confiance n’est jamais trompée. Je