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l’opportunité du voyage, sur le choix d’une nouvelle résidence. C’était bien le moins que l’élève parvenu donnât cette marque de déférence à son ancien professeur… Pour couper court à toutes ces difficultés, Chudleigh Wilmot dut se borner à réclamer dans les termes les plus généraux l’assistance de sir Saville. Un procès à suivre sur le continent par suite de la mort de sa femme, et qui le retiendrait peut-être quelque temps, motiva tant bien que mal la demande qu’il adressait à son illustre confrère. La clientèle prise en bloc resterait confiée à Whittaker, à l’exception d’un cas spécial qui réclamait les lumières supérieures de sir Saville. Arrivait ici l’éloge des Kilsyth, du premier au dernier, et le dernier ou plutôt la dernière était précisément Madeleine, représentée en quelques mots comme une intéressante, une aimable jeune fille, dont la maladie, déjà manifeste, se révélait par tels et tels symptômes scientifiquement décrits et détaillés.

Wilmot, en relisant ce chef-d’œuvre de dissimulation épistolaire, s’émerveilla lui-même du caractère purement professionnel qu’il était parvenu à lui donner. On peut être convaincu cependant qu’un intérêt puissant se trahissait à chaque, ligne, et que la requête adressée au vieux docteur n’avait rien de commun avec les banalités d’usage en pareille circonstance. Quoi qu’il en soit, Wilmot, qui tenait essentiellement à rendre cette rédaction irréprochable, voulut la relire à loisir et en ajourna l’envoi jusqu’au lendemain. Le lendemain donc il en pesa de nouveau scrupuleusement tous les termes, et, n’y trouvant rien à changer, il venait de la placer sous enveloppe, il allait mettre l’adresse et cacheter, quand son domestique annonça :

— Le capitaine Kilsyth !


IX

À ce nom, le docteur tressaillit. S’il attendait quelqu’un, à coup sûr ce n’était pas le frère de Madeleine. Du reste nulle chance d’éviter cette rencontre, aucun prétexte pour se faire celer, pas une seconde pour délibérer sur le parti à prendre. Derrière le domestique se dessinait vaguement dans la pénombre la silhouette de l’homme qu’il précédait. — Faites entrer le capitaine Kilsyth, dit tranquillement le docteur, s’appliquant à déguiser sa secrète angoisse.

Les deux hommes se saluèrent, et Ronald, prenant aussitôt la parole : — Vous devez être surpris de me voir, dit-il sans autre exorde… Mon excuse est dans l’importance du sujet qui m’amène…