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laquelle la veuve entrait en matière. — J’aurais peut-être jugé inutile de vous apporter un témoignage de condoléance, lui dit-elle ; mais j’ai un mandat à remplir, êtes-vous disposé à m’entendre ?

L’accent particulier de cette brusque interpellation affecta désagréablement le jeune docteur, et lui fit comprendre aussitôt qu’il avait affaire à une ennemie dont la haine, longtemps contenue, trouvait enfin à se satisfaire. Cette haine, il ne pouvait s’en expliquer les motifs. Jamais il ne s’était douté des visées secrètes de la veuve et de la déception qu’il lui avait ménagée en épousant Mabel. Aussi, mécontent et légèrement inquiet, attendit-il les explications annoncées par ce brusque avant-propos.

— J’espère, continua mistress Prendergast après une pause, que vous n’avez adressé aucun reproche au docteur Whittaker ?… Vous auriez eu tort, car il n’a point dépendu de lui que vous ne fussiez instruit ; .. mais lorsque Mabel a prévu, — tranchons le mot, lorsqu’elle a espéré, — que sa maladie serait mortelle, son plus vif désir a été de vous le cacher.

— Dieux bons ! et pourquoi ? s’écria Wilmot au comble de la stupéfaction.

— Vous devez avoir sur ce point des lumières qui me manquent, répondit la veuve, toujours sans pitié… Le fait est qu’elle a supprimé la lettre que votre confrère avait écrite pour vous mander ; .. Cette lettre est dans mes mains, et je vous la rapporte… La voici.

L’émotion et l’inquiétude de Chudleigh Wilmot allaient toujours en croissant. Sa terrible interlocutrice ne lui accordait aucun répit.

— Je suis chargée de vous dire que Mabel est morte avec joie, n’ayant aucune séparation à pleurer et n’emportant aucun regret ; qu’elle s’est toujours félicitée de vous avoir dissimulé le péril où elle se trouvait, attendu que, par égard pour vous-même, vous seriez infailliblement accouru auprès d’elle, et qu’elle préférait votre absence… Je répète textuellement le message dont elle m’a chargée. J’ai encore à vous demander en son nom deux choses La première est de permettre que son cercueil soit fermé sur elle dès le surlendemain de sa mort. La seconde est de porter son anneau de mariage. On a dû vous le remettre de ma part…

Wilmot revenait peu à peu de sa première consternation. Ce fut à voix haute et avec une fermeté presque rude qu’il prit à son tour la parole.

— Vous m’expliquerez sans doute ce qu’il y a au fond de tout ceci. Je ne comprends absolument rien à de pareilles communications. Vous savez mieux que personne dans quels termes nous vivions, et si j’ai jamais donné occasion à ma femme de souhaiter que