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Il y avait en outre autour de ce funèbre incident des obscurités, des contradictions, des incertitudes qui en faisaient une sorte de problème. Ceci devait naturellement l’amener à souhaiter une entrevue avec la meilleure amie de Mabel, celle qui avait dû obtenir d’elle la confidence la plus intime, celle qui avait assisté à ses derniers momens et reçu sans doute ses dernières paroles. Et pourtant, — comme par un pressentiment, — Wilmot éprouvait une indicible répugnance à voir mistress Prendergast. Ceci l’étonnait encore : il n’avait pas à la vérité un goût très vif pour l’esprit amer et caustique de cette veuve inconsolée ; mais il l’avait acceptée à la longue comme une relation inévitable, et ne s’était jamais senti le moins du monde jaloux de l’intimité qui existait entre elle et sa femme. Jaloux, hélas ! il ne connaissait encore que par ouï-dire ce sentiment presque inséparable de toute affection passionnée.

Indirectement informé que mistress Prendergast devait venir s’occuper de quelques détails domestiques relatifs aux funérailles, il s’attendait à sa visite, et fut presque heureux d’apprendre qu’elle était arrivée et repartie sans demander à le voir. La femme de chambre qui lui annonça cette bonne nouvelle lui remit en même temps un petit paquet cacheté. Il renfermait les clefs de la pauvre morte et son anneau nuptial. — Attendez, Susan ! Où est le cachet que votre maîtresse portait au doigt ? demanda Wilmot, qui venait de rompre l’enveloppe.

— Nous n’avons jamais pu le retrouver, répondit la suivante… C’est la seule chose qui manque, et mistress Prendergast n’a pas la moindre idée de ce que ce bijou a pu devenir… Déjà, depuis plusieurs jours, notre pauvre dame ne portait plus cette bague.

Wilmot arrêta ces explications par un geste, et, demeuré seul, se mit à contempler l’anneau d’or qui brillait sur la paume de sa main ouverte. Jamais cet anneau ne lui avait tant dit qu’à cette heure, et même à cette heure il ne lui disait certes pas tout ce qu’il avait suggéré de tristes réflexions à celle qui n’avait pas voulu l’emporter dans le tombeau. Wilmot finit, — non sans quelque effort, — par le glisser à son petit doigt. — Nous retrouverons l’autre, pensait-il, et je les porterai tous les deux jusqu’à la fin de mes jours…

Le lendemain, prévenu par Susan, il descendit au salon, où l’attendait mistress Prendergast. Les rideaux étant tirés, on distinguait mal, sous un épais voile noir, les traits de l’impassible veuve, que le salut troublé de Wilmot fit à peine se soulever du siège où elle était installée. Il lui avait, un peu par mégarde, tendu la main, ce qu’elle feignit de ne point voir. Déjà surpris par ce muet refus, il eut lieu de s’étonner encore davantage de la sèche précision avec