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et, sous prétexte de se dérober au joug du patron, à former des ligues où les supériorités naturelles qui existent parmi eux sont abaissées, et d’où sont même exclus ceux qui ont le plus besoin de protection. Cet égoïsme inintelligent, souvent cruel, inspire la plupart des mesures qu’ils prennent ou des projets qu’ils forment. Les statuts des sociétés, les caisses de prévoyance et de retraite, ont pour principal fondement les exigences d’une personnalité qui songe presque exclusivement à elle. C’est pour se débarrasser du patronage que la plupart des associations mutuelles se fondent, comme c’est pour lutter contre la tyrannie et l’avidité des patrons que les grèves éclatent. Il serait cependant bien difficile de ne pas avouer que, si aujourd’hui une classe est plus forte que l’autre, ce n’est pas assurément celle des patrons. Leur situation est des plus fausses. Si, dans un même lieu consacré principalement à des industries semblables, les propriétaires d’usines peuvent s’entendre à la rigueur pour fixer le prix des salaires, d’une place à une autre il est bien difficile qu’ils organisent une résistance commune. L’uniformité de tarifs qu’on veut leur imposer suppose l’uniformité de commande et de prix de vente. Enfin la plupart des professions ne comportent pas ces réglementations établies d’avance et propres seulement aux grandes usines. Dans la plupart des industries, et c’est précisément le cas pour celles qui ont occupé l’attention publique dans ces derniers temps, les chapeliers, les coiffeurs, les tailleurs, on peut dire que le prix du travail diffère selon le jour, la saison, le quartier, l’aptitude et l’âge de l’ouvrier, la générosité du maître. Presque toujours ce sont des causes impersonnelles qui déterminent ces variations, que les ouvriers veulent faire disparaître. Jugeons avec impartialité les moyens qu’ils emploient.

La première grève, du moins celle où l’attitude du gouvernement a nécessité le changement de la législation sur les coalitions, la grève des ouvriers typographes, n’a pas manqué, toute justifiée qu’elle fût à certains égards, de laisser un pénible souvenir, celui de la jalousie manifestée par les ouvriers imprimeurs contre le travail des femmes. Dans l’imprimerie Dupont, on avait prouvé l’utile emploi qu’on peut faire des femmes pour une besogne qui exigé moins de force physique que de soin, de délicatesse, de promptitude et de savoir. A coup sûr, en leur donnant du travail, le chef d’industrie ne faisait qu’user d’un droit strict, et en outre il remplissait un devoir social, celui de créer de nouveaux moyens de gain pour la partie de l’humanité qui en manque le plus et qui n’est pas le moins digne d’intérêt ; mais le travail des femmes est moins cher, il fait par conséquent une concurrence fâcheuse au travail des hommes. De là jalousie, réclamations, qu’on ne retrouve