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obligations envers leurs employés et ouvriers, comment elles ont pourvu à leurs besoins dans la vieillesse et ont cherché à les préserver des dommages causés à eux-mêmes ou à leur famille par les maladies, les accidens et la mort.

A coup sûr le procédé le plus simple consisterait à laisser chacun libre d’aviser comme il l’entendrait à ces éventualités. Qu’en échange du travail journalier toute compagnie comme tout patron distribuât une rémunération librement acceptée, et que tout fût dit, l’équité la plus stricte n’aurait rien à reprendre dans un tel marché. Ainsi en est-il aux États-Unis, par exemple, où les pensions, les retraites, les secours viagers, n’existent pas. Les habitudes n’y sont pas façonnées à la française sur ce point ; il n’entre dans la pensée d’aucun chef d’industrie de constituer à d’anciens employés des rentes pour leurs vieux jours. On voit bien maintenir à un homme malade et hors d’état de remplir ses fonctions la totalité de son traitement : tant qu’il peut faire de temps à autre acte de présence, même à côté de celui qui le supplée, la délicatesse commande de fermer les yeux sur son incapacité. Disparaît-il, tout est fini. La pensée ne vient pas qu’on est en quelque façon lié envers lui par tout un passé de travail accumulé. Ce passé a été soldé chaque jour ; c’était à la prévoyance individuelle de faire sa réserve pour l’avenir, et elle n’y manque pas en général. Nous avons vu quels développemens ont pris aux États-Unis les assurances sur la vie et en particulier les assurances en cas de mort. Ce que les chefs d’industrie ne songent point à faire, les compagnies de chemins de fer ne l’ont point encore tenté. Dans aucune des nombreuses sociétés dont la liste remplit les deux premières pages des journaux spéciaux, tels que le Stockholder, moniteur des cours des fonds publics et des actions de chemins de fer, aucune mesure de prévoyance à l’égard des ouvriers et employés n’a été prise par les propriétaires perpétuels de ces lignes qui ne feront point, comme chez nous, retour à l’état. Il ne faut pas s’en étonner, et, pour peu qu’on réfléchisse au génie du travailleur américain, on comprendra que de pareilles préoccupations ne se présentent point à sa virile intelligence. Il y a une telle absence de toute démarcation entre les classes de l’autre côté de l’Atlantique, que, si nous comparions notre état social à celui-là, nous pourrions nous croire encore assujettis à la hiérarchie inflexible de l’ancienne Égypte. Ce que l’on appelle ici l’ouvrier, l’employé, ne se retrouve pas là-bas, en ce sens qu’aucun individu ne se voue, on pourrait presque dire ne se condamne à une existence ainsi limitée et parquée. Les travaux manuels, les labeurs infimes des bureaux, s’exécutent sans doute là-bas comme ici ; mais on ne trouverait pas un homme qui s’y résignât sans l’espoir de