Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le salut et la force du pays. En Russie, en Autriche, les habitudes de dissipation, d’incurie, de prodigalité, ont été trop longtemps le cachet distinctif des gens comme il faut. Les propriétaires dépensaient leurs revenus dans les capitales, dans les villes de bains à l’étranger, souvent même ils grevaient leurs biens d’hypothèques pour satisfaire de ruineuses fantaisies. Si ceux qui disposent du produit net le consomment tout entier, d’où viendra le progrès économique ? Que dans un pays riche comme l’Angleterre l’aristocratie use avec prodigalité de son immense fortune cela n’arrêtera point l’accumulation du capital, parce qu’au-dessous d’elle il y a une classe moyenne compacte disposant aussi d’énormes ressources et portée par tempérament aux emplois reproductifs ; mais chez ces nations de l’Europe orientale, au-dessous du grand propriétaire, on ne trouve que de pauvres cultivateurs, des paysans à peine échappés au joug du servage, vivant au jour le jour, sans instruction, sans prévoyance, sans aspiration vers une condition supérieure. Est-ce donc de cette classe déshéritée et impuissante qu’il faut attendre le persévérant effort d’intelligence et de volonté nécessaire au développement économique du pays ?

Presque partout en Europe, même en Angleterre, le salaire de l’ouvrier agricole est extrêmement réduit, et suffit à peine à satisfaire les besoins les plus urgens de la famille. La Suisse d’abord et puis la France sont les pays où la condition du travailleur à la campagne est la moins gênée. En Prusse, le salaire, partout assez modique, est plus élevé dans les provinces occidentales, quoique la population y soit deux fois aussi dense que dans les provinces orientales. A l’est, la journée de l’ouvrier ne se paie pas même 1 franc, tandis qu’à l’ouest elle dépasse 1 fr. 25 c. Dans les provinces de Posen, de Poméranie et de Prusse, chaque exploitation s’attache le nombre de familles qui lui sont nécessaires pour exécuter les travaux ordinaires de la culture. À ces travailleurs appelés suivant la localité Insleute, Gürtner) Komorniks, on accorde une habitation, un demi-hectare de terre, souvent le bois de feu et le pâturage pour une bête à cornes. En échange, ils s’engagent à travailler toute l’année sur le domaine à un silbergros (12 centimes 1/2) meilleur marché que l’ouvrier ordinaire. Beaucoup de travaux se font à la tâche : ainsi on paie pour faucher un morgen de blé 8 silbergros, ce qui revient à environ 4 francs l’hectare ; on donne la moitié pour faucher le foin, et 7 francs s’il faut aussi le sécher et aider à le rentrer. Les gages d’un domestique de ferme sont en moyenne de 80 francs, ceux d’une servante de 50 francs. Dans les provinces de Saxe, de Westphalie et du Rhin, ils montent presque au double, preuve nouvelle de l’avantage qui résulte pour tous d’une plus grande subdivision de la propriété. Voici comment était