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par-dessus tout, peu après, son avènement, il faisait un acte d’éclat en publiant une circulaire, restée célèbre en Espagne, par laquelle il rappelait à l’armée qu’elle devait rester étrangère à la politique. Jusque-là, rien de mieux ; seulement c’était un de ces actes d’autorité qui sont un commandement et ne demandent pas de réponse. Cependant cette circulaire avait à peine paru que, par un mouvement trop unanime et trop bien concerté pour n’être pas l’exécution d’un mot d’ordre, tous les corps de l’armée se mettaient à envoyer des adhésions au ministre de la guerre. Pendant quelques jours, la Gazette de Madrid se remplissait de manifestations militaires. C’était quelque chose comme il y a bientôt dix ans les adresses des colonels en France, un vrai pronunciamiento, c’est-à-dire que dans le moment même où il détournait l’armée de se mêler à la politique le général Narvaez la provoquait à une intervention éclatante en sa faveur. Si l’armée avait le droit de délibérer et de se prononcer dans le sens que lui indiquait le général Narvaez, quelle raison y avait-il pour qu’elle ne prît pas le droit de se prononcer dans un autre sens ? Étrange fatalité d’une politique qui donnait elle-même le signal de ce qu’elle voulait empêcher, et qui légitimait une fois de plus cette perpétuelle intervention de l’armée dans les affaires publiques en lui donnant la couleur d’une protestation monarchique ! Mais en dehors de cet appel, peut-être dangereux, à la fidélité de l’armée, deux mesures entre toutes restent l’expression caractéristique de la pensée de ce ministère restaurateur de l’autorité : je veux parler de la loi de l’ordre public et de la loi sur la presse, deux actes purement dictatoriaux d’ailleurs, que rien n’autorisait le ministère à promulguer, qui précédaient de quelques jours à peine les élections et la réunion de chambres nouvelles.

Si le gouvernement, par la loi de l’ordre public, n’avait songé qu’à entourer de quelques garanties de plus la sécurité privée, ce n’eût été vraiment rien de trop. Il y a eu des momens depuis 1866 où les journaux se remplissaient de récits de toute sorte de crimes qui se multipliaient un peu partout, notamment en Andalousie et en Catalogne, et on a vu des capitaines-généraux de provinces, au risque de se substituer à toutes les juridictions ordinaires, se croire obligés de publier des bandos terribles contre les incendiaires, les faussaires, et les assassins, qu’ils représentaient comme des révolutionnaires déguisés. Malheureusement ce n’est pas pour cela que le gouvernement se mettait en frais de dictature. Il y a dans cette loi de l’ordre public deux ou trois articles qui en révèlent toute la pensée, qui constituent la plus formidable hiérarchie d’arbitraire, qui dépassent même les sévérités du temps de Ferdinand VII et du