Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/501

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

décembre, le gouvernement faisait envahir le congrès, dont il fermait les portes, en menaçant des peines les plus sévères ceux qui feraient circuler la pétition. Ce fut Pezuela qui comme capitaine-général de Madrid fut chargé de cette expédition, et, donna ses ordres cavalièrement, en vrai général du bon temps : « Il est venu à ma connaissance que quelques individus ennemis de l’ordre public, et de leur sécurité privée préparaient et signaient une adresse,… protestant, par suite d’une interprétation fausse et malicieuse des préceptes constitutionnels, contre la non-réunion des cortès dans la présente année, etc. » Le lendemain matin, on apprenait, non sans une certaine stupéfaction, que M. Rios Rosas, président du congrès, M. Fernando de la Hoz, vice-président et ancien ministre de la justice, M. Pedro Salaverria, ancien ministre des finances, M. Herrera, M. Mauricio Lopez Roberts, venaient d’être arrêtés et allaient être envoyés aux Baléares ou aux Canaries, si ce n’est à Fernando-Po, on ne savait encore. D’un autre côté, les sénateurs eux-mêmes n’étaient pas restés inactifs. Jusque-là, il est vrai, le général Serrano, président du sénat, s’était efforcé de maintenir les démarches de ses collègues dans les plus strictes limite de la légalité et même de les dissuader de signer une pétition. L’arrestation du président du congrès ne permettait plus de se taire. Le général Serrano, qui comme un des premiers chefs de l’armée, comme grand d’Espagne, a toujours le droit de voir la reine, se rendit au palais. Le général Serrano n’était pas un inconnu pour Isabelle II, et il pouvait parler librement sans être soupçonné d’hostilité. — Il n’obtint rien. Je me trompe, au sortir du palais et à peine rentré chez lui, il reçut la visite du capitaine-général de Madrid, qui venait l’arrêter courtoisement, en ami, le mettre dans sa voiture et le conduire à la prison militaire en attendant qu’il fût envoyé ailleurs.

Et ces mesures violentes en elles-mêmes, comment s’exécutaient-elles ? M. Rios Rosas fut expédié à Carthagène et là embarqué sur un petit navire avec vingt-huit galériens. Le gouvernement en eut quelque remords quand il n’était plus temps, et le fit exprimer à M. Rios Rosas, qui répondit ; « Dites au gouvernement que je lui suis très reconnaissant de ce regret tardif ; mais qu’il soit tranquille, des vingt-huit galériens il n’est rien resté après moi. » M. Rios Rosas est aujourd’hui émigré en Portugal. Quant au général Serrano, il fut bien mieux traité ; on l’expédia tout simplement sous la garde d’un commissaire de police au château d’Alicante et de là à Mahon. Ainsi un homme qui six mois auparavant avait peut-être sauvé la couronne de la reine en prodiguant sa vie pendant toute une journée, qui était après tout capitaine-général de l’armée