Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/496

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sénateurs, la reine lui répondit de façon à lui faire comprendre que c’était assez, qu’on pouvait au besoin se passer de lui, et il ne se le fit pas dire deux fois.

On était au 10 juillet, la roue de la fortune ministérielle avait déjà tourné. Le nouveau cabinet du reste se trouvait indiqué d’avance. C’était le général Narvaez avec ses amis, M. Gonzalez Bravo au premier rang, M. Alejandro Castro, le triomphant ministre des finances de 1865, M. Garcia Barzanallana, M. Orovio, en attendant M. Carlos Marfori, qui n’avait pas été, dit-on, étranger à cette crise et à qui on donnait le poste de confiance de gouverneur de Madrid jusqu’à ce qu’il prît place lui-même dans le ministère, où il est entré depuis quelques mois. La situation n’eût pas laissé d’être curieuse, si elle n’eût été aussi grave. C’était O’Donnell qui avait livré bataille à la révolution, et c’est Narvaez qui recueillait les fruits de la victoire. C’était le chef de l’union libérale qui avait obtenu des cortès une sorte de dictature momentanée, c’est le chef du parti conservateur qui en héritait, sauf à l’interpréter à sa guise, sans en demander même la confirmation au parlement. Et c’est ainsi que de l’insurrection du 22 juin naissait une réaction qui ne s’arrêtait qu’un instant au général O’Donnell pour passer aussitôt au duc de Valence. Le premier acte du nouveau ministère était de renvoyer les chambres en se bornant, pour tout programme, à leur dire que les hommes qui entraient au pouvoir étaient assez connus. Ils n’étaient pas inconnus efiectivement pour la plupart. Ce n’était pas un cabinet nouveau, c’était toujours le ministère Narvaez de 1858, de 1865, revu, corrigé, perfectionné, et malheureusement, on pouvait le craindre, peu converti au libéralisme. Maintenant qu’allait-il faire ?

Assurément c’était une pensée aussi dangereuse qu’étrange de choisir un tel moment pour une crise de pouvoir, de congédier sans raison apparente, sans trop de façons, au lendemain même d’une victoire, un chef de parti qui venait de couvrir la monarchie de sa froide et énergique résolution. On ne joue pas impunément avec les hommes, et le moins qui pût arriver, c’était de laisser dans l’âme d’O’Donnell et de ses amis une certaine amertume, c’est-à-dire de rétrécir le cercle des défenseurs dévoués d’une situation devenue périlleuse. Certainement aussi l’origine du cabinet nouveau restait enveloppée de je ne sais quel mystère équivoque ; elle n’avait précisément rien de parlementaire, rien surtout d’impérieux dans des circonstances où le pouvoir était assez vigoureusement exercé. Et cependant, en dehors de ces particularités intimes, les conditions dans lesquelles naissait le ministère n’avaient rien d’absolument défavorable au point de vue politique. D’abord c’était le général O’Donnell qui avait assumé la responsabilité et