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Jusque-là, tant que la révolution n’avait pas levé le masque et restait menaçante, il était l’homme nécessaire ; après la bataille, il pouvait être considéré comme moins nécessaire, et lorsqu’il répétait avec une affectation de désintéressement qu’il était prêt à offrir son épée à tout ministère chargé de tenir tête à la révolution, il s’exposait à être pris au mot. Enfin il ne voyait pas que cette dictature, qu’il demandait et qu’il obtenait de la majorité des chambres, elle pouvait passer dans d’autres mains qui s’en serviraient sans les chambres et dans l’intérêt d’une politique assez différente, qui d’une victoire sur l’insurrection voudraient tirer une victoire sur les idées libérales.

Ce que le général O’Donnell ne voyait pas dans la sécurité d’une position en apparence inébranlable, dans sa confiance un peu hautaine en lui-même, était cependant ce qui allait bientôt arriver brusquement, à l’improviste, comme tout arrive en Espagne, où la logique, prend si souvent la forme de l’imprévu. Quelques jours s’écoulaient à peine en effet que la situation du ministère était déjà minée sourdement par un travail difficile à saisir, quoique facile à soupçonner, et répondant à l’attitude impatiente des vieux modérés dans les chambres. Plus on s’expliquait, plus on se donnait l’air de multiplier les efforts de conciliation en face d’un danger commun, plus l’antagonisme se ravivait et se faisait jour. Le mot d’ordre de cette opposition conservatrice, la seule qui eût pour le moment la parole dans les chambres, c’était que l’union libérale perdait tout par ses concessions et ses ménagemens, qu’elle compromettait la monarchie par ses affinités révolutionnaires, que l’heure, était venue d’inaugurer une politique plus énergiquement préservatrice, et pour tout dire, dans le sénat, le général Calonge, poussé par l’ardeur de ses passions réactionnaires, mettait la journée même du 22 juin au compte du général. O’Donnell. On ne le disait pas encore publiquement, mais on disait déjà tout bas que le chef de l’union libérale avait laissé le palais de la reine sans défense pendant les premières heures de l’insurrection. O’Donnell ne se croyait pas moins en sûreté, et il est certain que les témoignages de confiance ne lui manquaient pas à la cour. Malheureusement en Espagne il se trouve toujours au moment voulu un grain de sable pour faire, verser le char ministériel le plus triomphant, et les majorités parlementaires n’y font rien, le grain de sable fut cette fois la proposition faite par le chef du cabinet à la reine de nommer un certain nombre de sénateurs. Ce fut peut-être aussi autre chose ; peut-être la reine, pressée à l’improviste de faire un choix, céda-t-elle à un de conseils que les constitutions ne prévoient jamais. Toujours est-il que lorsque le général O’Donnell en vint à insister sur sa promotion de