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dix ou douze blessures. Pierrad ne parvint à s’échapper qu’après être resté caché pendant quelques jours dans un puits, protégé par la discrétion du duc d’Albe. Livrée à elle-même, l’insurrection du 22 juin fut ce qu’elle pouvait être, un combat décousu et incohérent.

Autre cause d’insuccès : les progressistes du mouvement comprenaient sans doute dès lors qu’ils ne pouvaient rien faire sans le parti démocratique, et ils l’acceptaient comme auxiliaire, mais, en même temps ils se défiaient de ce jeune et impatient allié : ils craignaient d’être supplantés par lui, et ils ne lui livraient pas même les armes dont on disposait. Il en résultait quel dans le combat comme avant le combat on ne s’entendait déjà plus. Enfin, dernière considération d’un caractère tout politique, cette révolution, qu’on tentait si audacieusement en plein Madrid gardait je ne sais quoi de vague et de mystérieux qui était bien peu fait pour entraîner l’imagination publique. Ces insurgés de San-Gil et de la place Santo-Domingo, où allaient-ils et que voulaient-ils ? Ils ne le savaient pas bien eux-mêmes, et on ne le disait pas pour eux. C’était l’inconnu, et la bourgeoisie, même la bourgeoisie libérale de Madrid, bien loin de prendre part au mouvement, s’en effrayait et s’en éloignait. Elle restait spectatrice. Dès lors les insurgés se trouvaient dans le plus sombre isolement. S’ils tinrent jusqu’au bout, non sans intrépidité, ce fut par orgueil, ce ne fut pas par enthousiasme. Et voilà comment l’insurrection, du 22 juin, malgré ce qu’elle avait évidemment de redoutable, trouvait en elle-même aussi bien que dans la vigueur du général O’Donnell la cause multiple de sa défaite.

Elle n’était pas moins dangereuse comme symptôme, par les cour séquences qu’elle pouvait avoir, par toutes les passions qu’elle soulevait et qu’elle mettait aux prises, par les tentations qu’elle pouvait faire naître. Matériellement elle était vaincue, mais elle laissait dans les esprits un ébranlement maladif, une sorte d’émotion sinistre accrue au spectacle du nombre des victimes ; elle faisait entrevoir toute une situation évidemment pleine de menaces et dès le premier mouvement, sous le coup de l’émotion du combat, le gouvernement lui-même songeait à rester, armé à tout événement. Je ne parle pas seulement des répressions sommaires qui commençaient contre cette masse de sous-officiers pris dans la lutte et contre ceux qu’on supposait être les chefs de l’insurrection. Dès le lendemain, le ministère reparaissait devant les chambres, et il ne se bornait plus à presser le vote des autorisations qu’on discutait depuis six semaines : il y ajoutait la demande d’une autorisation bien plus grave encore, celle de pouvoir suspendre au besoin l’article de la constitution qui garantit la liberté individuelle. ’Le gouvernement,