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de la ville, et contribuait certainement aux nombreuses maladies qui régnaient. Plusieurs centaines de ces charognes étaient étendues, près des réservoirs d’eau dont se servaient les pèlerins, et les Arabes qui habitaient ce quartier ne sortaient jamais sans se boucher les narines avec un morceau de coton, qu’ils portaient suspendu à leur cou par un fil. »

On dirait que l’on s’est appliqué à réunir dans ce long voyage toutes les conditions d’insalubrité. Le docteur Schnepp[1] estime qu’en temps ordinaire il périt environ un cinquième des pèlerins. Combien la perte doit être plus grande en temps d’épidémie ! C’est en 1831 qu’eut lieu la première apparition du choléra à la Mecque ; elle fut terrible. L’émir-hadji, les pachas de Djeddah et de Médine y succombèrent, Personne ne doutait que le fléau n’eût été apporté par les pèlerins venus de l’Inde[2]. Il faut ajouter du reste que la propagation des épidémies en Europe était moins à craindre lorsque le voyage de retour se faisait par terre pour l’immense majorité des hadji. Ce long trajet était une sorte de quarantaine ambulante pendant la durée de laquelle les maladies contagieuses épuisaient leur malignité sur les seuls pèlerins : tous ceux qui en avaient reçu le germe avaient guéri ou succombé avant l’arrivée de la caravane au Caire, à Damas et à Bagdad. Aujourd’hui que la grande masse des pèlerins revient par mer, l’Europe, en raison de la rapidité du voyage, est beaucoup plus exposée à la contagion.

Pendant le pèlerinage de 1865, le choléra fit de grands ravages à La Mecque, à Médine, à Djeddah. Non-seulement le choléra, mais le typhus et la dyssenterie faisaient périr dans cette dernière ville de 90 à 100 personnes, par jour sur une population flottante d’environ 12,000 voyageurs. Tant sur le territoire du Hedjaz que dans le trajet, on estime qu’il périt environ la moitié des pèlerins. Quel désastre ! quel trouble dans les familles ! Pourtant ce n’est pas tout. Au retour des pèlerins, le choléra éclata en Égypte, en Syrie, dans la Turquie d’Europe, en France, en Italie, en Espagne. A Alexandrie, à Constantinople, à Marseille, il a égalé, s’il n’a dépassé, la fureur de ses plus sinistres apparitions. L’émotion a été générale et profonde : elle était légitime.

Lorsque le fléau suit une marche aveugle ou providentielle, lorsqu’il semble, comme un automate, porter en soi le principe de son mouvement, il est accueilli comme l’ouragan ou la grêle. Tel n’était pas le cas en 1865. On savait sinon où le choléra avait

  1. Le pèlerinage de La Mecque, par le docteur Schnepp, ancien médecin sanitaire en Égypte ; Paris, 1865.
  2. Le Hedjaz, par le Dr Daguillon, médecin de colonisation en Algérie ; Paris, 1866.