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territoire se dressaient en face de la royauté des forces indépendantes existant en vertu d’un titre aussi respectable que le sien. C’était d’abord un clergé maître d’une grande partie du sol qui, indépendamment de son immense autorité morale, exerçait une autorité politique permanente comme premier ordre de l’état. Représenté pour la gestion de ses intérêts financiers par des assemblées générales, ce clergé était constitué dans tout le royaume en chapitres régis par des règles canoniques qui avaient le caractère de lois du royaume. De plus le territoire était couvert d’un réseau de puissantes abbayes, qui opposaient aux injonctions de l’autorité civile un vaste système d’exemptions et d’immunités. Venait ensuite une noblesse déjà dépossédée sans doute de sa puissance féodale, mais qui conservait la direction suprême de toutes les forces militaires de la monarchie. De ses rangs sortaient en effet tous les chefs qui recrutaient l’armée et la conduisaient au combat sous leurs propres couleurs. C’était enfin le tiers-état, avec lequel la couronne n’avait pas moins à compter qu’avec les ordres privilégiés. Partout grandissaient des villes auxquelles la royauté concédait à prix d’argent certains droits déterminés, depuis le droit de se taxer jusqu’à celui de se garder elles-mêmes. Ces privilèges, il fallait bien les nommer ainsi, puisque le droit commun n’existait encore pour personne, étaient énoncés dans des contrats dont l’écriture semblait trop fraîche au XVIe siècle pour qu’on osât déjà l’effacer ; ce ne fut qu’à la fin du XVIIe que le pouvoir imagina de les abolir pour arriver, au XVIIIe, à revendre aux communes des droits dont elles ne manquèrent pas de se voir bientôt après dépouillées définitivement. A côté des maires, échevins, consuls et capitaines des compagnies de garde civique, sortis de l’élection, se présentait une autre classe de fonctionnaires qui, quoique directement associés à l’action du pouvoir, conservaient pourtant certaines conditions d’indépendance. C’étaient les officiers royaux proprement dits, les membres des cours souveraines et des diverses juridictions spéciales, les sénéchaux et juges des présidiaux, les trésoriers des finances, suivis de la légion de fonctionnaires créés à titre de ressource budgétaire et sans aucune nécessité résultant du service public. Si étrange que fût cette manière de battre monnaie, ces fonctions achetées n’en prenaient pas moins le caractère d’une sorte de propriété héréditairement transmissible, et la charge acquise à prix d’argent permettait certainement une tout autre attitude que l’emploi révocable conféré aujourd’hui par la faveur. Sous le régime de la vénalité des offices, leurs places appartenaient aux fonctionnaires ; il est arrivé plus tard que les fonctionnaires ont appartenu à leurs places.

Devant le faisceau de tant de forces existant par elles-mêmes,