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Crevain, fit défoncer par tous les carrefours des barriques de vin de Gascogne, « afin que Bacchus achevât ce que le zèle aurait commencé. » A Rennes, les cordeliers organisèrent une grande procession, puis, ayant caché des pierres dans leurs manches, ils les firent pleuvoir comme grêle sur quelques maisons dont les habitans étaient suspects d’attachement aux idées nouvelles. A Nantes, les huguenots étaient chassés par le peuple du lieu d’assemblée que leur avait régulièrement attribué le gouverneur, la maison où se tenait le prêche était mise à sac et livrée aux flammes.

En compensation de tant d’amertumes, on n’obtenait que des résultats fort restreints et des plus précaires. Les moissonneurs manquaient comme la moisson, tant « l’éloignement et le nom breton épouvantaient ! » Aux meilleurs temps de la réforme, en 1568, lors de la paix de Longjumeau, quand la cause de la liberté de conscience semblait favorisée par les calculs personnels de la reine-mère et la lassitude générale, sur une liste de plus de deux mille cinq cents églises réformées, alors constituées dans le royaume, la Bretagne ne figurait encore que pour dix-huit. Quatre ans plus tard, après le massacre de la Saint-Barthélémy, bien que ce forfait n’eût heureusement provoqué dans cette province aucun crime ni même aucune agitation dangereuse, tous les ministres s’enfuirent en Angleterre ou à La Rochelle pour y attendre des jours moins orageux. Le culte protestant ne fut plus célébré que dans la chapelle du château de Blain, où vinrent se réfugier tous les calvinistes des environs, entretenus par une splendide hospitalité.

Durant la guerre de la ligue, les réformés, en trop petit nombre pour constituer un parti religieux, ne s’y montrèrent qu’à titre de champions du droit monarchique héréditaire ; enfin, lors de la pacification générale sous Henri IV, une seule église, celle de Vitré, maintenue par l’influence de la maison de Laval, resta debout, et seule aussi représenta la Bretagne protestante en 1598 au synode de Saumur[1]. Le calvinisme, qui dans une partie de nos provinces méridionales avait pu se greffer sur des traditions et des souvenirs locaux, demeura donc généralement antipathique à tous les instincts de la race armoricaine. Cela est vrai surtout dans la Bretagne bretonnante, et le dernier missionnaire de ce pays a pu dire au pied de la lettre dans le cours du XVIIe siècle « qu’il est à naître qu’on ait vu un Breton bretonnant prêcher dans sa langue autre religion que la catholique[2]. » Si les populations rurales résistèrent à l’action des grandes familles auxquelles était

  1. Voici la teneur du décret synodal : « La province de Bretagne, qui n’a aussi qu’une église, sera jointe à celle de Normandie. » (Synode national, décem. 13, t. Ier v p. 198.)
  2. Le père Maunoir.