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souffrons sans l’avoir fondé, telle est la double pensée dont sont sorties ces études. On y pourra observer le gouvernement antérieur à 89 dans ses maximes comme dans ses pratiques, en acquérant, sans moins en détester les crimes, une conviction plus intime de l’impérieuse nécessité de la révolution française. En exposant les annales fort peu connues d’une grande province depuis les temps qui suivirent la réforme religieuse jusqu’à ceux qui précédèrent la chute de la monarchie, j’aurai à montrer la vie des différentes classes de la société sous cet ancien régime auquel l’école révolutionnaire prête trop souvent des torts qu’il n’eut pas, et l’école monarchique des mérites qu’il n’eut pas davantage. Si j’y parviens, cet essai pourra donner de ce qu’était la France de nos pères dans sa variété confuse une idée vraie et peut-être nouvelle.

Après cette vue d’ensemble et ces considérations générales, je puis entrer maintenant dans l’étude des faits, et avant d’exposer ce que fut l’ancien régime dans cette grande province je rappellerai les conditions attachées à la réunion de la Bretagne à la couronne, réunion commencée par le mariage de la duchesse Anne avec Charles VIII, gravement compromise par les clauses de son second mariage avec Louis XII, et définitivement consommée par le gouvernement de François Ier.

Les états de Vannes prirent une résolution patriotique et sensée lorsqu’ils demandèrent à François Ier « d’induire par union perpétuelle icelui pays au royaume de France, afin que jamais ne s’émût guerre, dissension ni inimitié entre eux[1]. » Ils garantirent l’avenir autant que cela est donné à la prudence humaine en obtenant, pour prix d’un consentement que personne ne leur contestait alors la faculté de refuser l’engagement « d’entretenir et garder les droits, libertés et privilèges du pays assurés tant par chartes que autrement. » La joie du peuple breton fut donc naturelle lorsqu’à la suite de ces grandes transactions le jeune dauphin de France, petit-fils d’Anne de Bretagne, fit une magnifique entrée à Rennes par permission du roi son père, « administrateur usufructuaire du duché en qualité de vrai duc et propriétaire du pays de Bretagne. »

Bertrand d’Argentré avait assisté dans son enfance aux solennités qu’il se complaît à rappeler cinquante ans plus tard dans le tumulte des guerres civiles. C’est de son style le plus coloré qu’il a décrit ces pompes populaires et les pieuses cérémonies du sacre ducal depuis l’instant où le jeune prince, revêtu d’une tunique de pourpre fourrée d’hermine, entra selon l’antique usage en l’église cathédrale de Saint-Pierre « pour y veiller tout au long la nuit jusques

  1. D’Argentré, Histoire de Bretagne, liv. XIII, chap. 70.