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rarement à la cour, mais constamment aux armées. Ils ne tardèrent pas à se voir suivis et dépassés par la magistrature dans cette guerre acharnée, dont le terme fut l’abîme où s’engloutit la Bretagne avec tous les vieux droits qu’on avait prétendu lui conserver.

Le pouvoir royal, qui avait souvent triomphé de l’opposition des états en entretenant dans leur sein la résistance habituelle du clergé et du tiers contre la noblesse, les gouverneurs, accoutumés à chercher dans le parlement de la province un point d’appui contre la représentation nationale, s’aperçurent avec une sorte d’effroi qu’un accord longtemps réputé impossible tendait à s’opérer entre toutes ces forces dissidentes sous une pression extérieure qui devenait irrésistible. À cette soudaine révélation, le pouvoir commença par se montrer d’autant plus violent qu’il était plus faible ; mais il ne tarda pas à vouloir racheter ses violences par ses concessions, celles-ci demeurant d’ailleurs aussi stériles que l’avaient été ses menaces, parce qu’elles ne suffisaient plus aux nouveaux désirs dont les limites reculaient d’heure en heure. Alors se produisit le plus étrange spectacle : on vit des gentilshommes assis sur les sièges fleurdelisés du parlement, de braves officiers qui tous auraient donné pour la monarchie la dernière goutte de leur sang, porter à celle-ci les premiers coups et saper de leurs propres mains les seules digues qui continssent encore le flot déjà frémissant de la multitude. Les protestations des états de Bretagne, les actes et les paroles des magistrats de cette province allèrent par tout le royaume, de 1756 à 1788, éveiller des passions qui n’avaient pas encore conscience d’elles-mêmes, et des hommes qui n’avaient songé qu’à maintenir avec obstination tous les droits consacrés par le passé se trouvèrent transformés en instrumens d’une révolution dont la plupart auraient désavoué les conséquences même les plus légitimes, s’ils avaient pu les soupçonner. Durant les trente années qui précédèrent la crise de 89, cette vieille terre gronda comme un volcan tout prêt à s’allumer, et ce fut dans la patrie de l’armée catholique et royale, entre le berceau de Charette et celui de George Cadoudal, que commença l’explosion qui allait renverser la religion et la royauté.

La péripétie qui substitua en Bretagne la revendication très soudaine du nouveau droit constitutionnel aux longs efforts tentés pour la conservation du vieux droit historique fut dramatique et rapide. La bourgeoisie et la noblesse, pleinement d’accord la veille pour résister à toutes les injonctions de la cour, mirent l’épée à la main l’une contre l’autre sitôt que la convocation des états-généraux les eut conduites à poser dans l’enceinte où elles délibéraient en commun les problèmes qui se rapportaient au mode de représentation