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ambition, si distingué toutefois d’esprit et naturellement sensible à toutes les élégances. Il ne lui était pas désagréable de voir ces recrues d’un nouveau genre s’ériger à sa cour en professeurs de belles manières, et donner aux hommes et aux femmes de son entourage ce vernis de noblesse gracieuse et d’urbanité de haut goût qui, malgré leurs efforts, faisait encore un peu défaut aux membres de la cour nouvelle. Rien ne le divertissait plus que de surprendre ses anciens compagnons de bivouac, les officiers de l’armée révolutionnaire d’Italie et les membres de nos vieilles assemblées démocratiques, lorsque, devenus, grâce à lui, maréchaux de France, sénateurs, conseillers d’état ou députés au corps législatif, ils s’étudiaient, courtisans de fraîche date, à copier d’inimitables modèles qui sans se donner autant de peine réussissaient mieux à lui plaire. A ceux qui lui reprochaient avec humeur et jalousie ces grâces accordées à d’anciens adversaires, il répondait d’un ton moitié sérieux, moitié plaisant : « Bah ! c’est votre faute ; vous n’y entendez rien. Il n’y a que les gens de vieille race pour savoir bien servir. »

Pour être cruel, le mot sorti de la bouche de Napoléon n’en était pas moins à cette époque devenu, hélas ! parfaitement vrai. Quel que fût en effet le rang occupé dans cette immense hiérarchie impériale, qu’on eût héroïquement gagné ses grades dans l’armée ou péniblement mérité un tardif avancement dans l’administration, que l’on portât soit l’habit de chambellan, soit la toge du magistrat, soit même la soutane du prêtre, c’était bien de servir qu’il s’agissait en réalité. Sous les régimes libres ou dans les monarchies seulement pondérées, les fonctionnaires n’ont au fond de devoirs effectifs qu’envers la nation elle-même, fictivement représentée par le chef de l’état. Cette fiction, il y avait longtemps que l’empereur n’en voulait plus. Elle lui avait toujours été insupportable ; il l’avait mise à néant. C’était pour lui-même qu’il entendait réclamer un dévouement sans bornes et des services tout personnels, qu’on devait tenir continuellement à sa disposition sans réserves et sans réticences. Point d’exception pour les évêques. Ils étaient liés à son égard par des obligations toutes pareilles à celles qui étaient si étroitement imposées aux autres dignitaires de son empire. S’il n’était pas donné à tous, comme par exemple à l’abbé Bernier, évêque d’Orléans, d’être indifféremment employé aux affaires de la politique, même à celles qui par leur fâcheuse nature semblaient devoir répugner le plus au caractère sacré d’un ecclésiastique, ils étaient tous également tenus à se rendre aussi utiles et aussi agréables que possible. La moindre des attentions par laquelle ils devaient reconnaître la faveur dont ils avaient été l’objet consistait à ne jamais laisser échapper une occasion de vanter les