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Troyes, s’il s’était attiré cette faveur par sa renommée incontestable de savant théologien et d’éloquent orateur, la devait bien aussi à certains incidens de sa carrière ecclésiastique. Ce qui l’avait servi le mieux auprès du chef de l’état, c’était d’avoir autrefois remporté le prix décerné par l’Académie française pour le meilleur éloge de saint Louis, c’était d’avoir prononcé devant l’ancienne cour l’oraison funèbre du dauphin, fils de Louis XV ; c’était enfin l’honneur d’avoir prêché avec éclat les derniers sermons de carême qu’ait entendus aux Tuileries l’infortuné Louis XVI. Parmi les notabilités du clergé français, nul n’était à coup sûr, — soit par l’éclat de sa naissance, soit par la générosité connue de ses opinions, soit par la modération de son attitude, qui ne s’était jamais démentie pendant toute la durée de l’assemblée constituante, soit enfin par ses talens personnels, — plus naturellement désigné à l’attention de l’empereur que le cardinal-archevêque de Boisgelin. Au dire des familiers, son mérite principal aux yeux de Napoléon avait toutefois été la grande situation qu’il avait jadis occupée dans l’ancienne cour. S’il avait été désigné pour monter en chaire à Notre-Dame le jour de la publication du concordat, c’est que vingt-cinq ans auparavant il avait eu la bonne fortune de prêcher, aux grands applaudissements de l’assistance charmée, le sermon du sacre de Louis XVI. Napoléon aimait et recherchait ces rapprochemens. S’ils affligeaient tant, soit peu les âmes délicates, ils semblaient au contraire ajouter pour lui aux joies de son triomphe. Par caprice, par calcul si l’on veut, en tout cas avec une assurance à laquelle la vanité n’était pas absolument étrangère, tandis qu’il ouvrait largement les rangs de son armée aux fils des grandes familles, tandis qu’il se plaisait à replacer sur les bancs de la nouvelle magistrature d’anciens membres du parlement, tandis qu’il nommait de préférence aux charges de son palais les descendans des nobles maisons qui en avaient jadis occupé de semblables sous la dynastie déchue, il trouvait un plaisir égal, et peut-être plus raffiné encore à poser le chapeau de cardinal ou la mitre d’évêque sur la tête de personnages qui n’auraient pas été jugés indignes de les recevoir autrefois de la main des successeurs de saint Louis et d’Henri IV. Le bel air, la bonne tenue, les façons à la fois simples et respectueuses, dégagées et polies de ce monde un peu à part qui avait naguère fréquenté les salons de Louis XVI à Versailles, qui avait été sur le pied de la familiarité, admis par Marie, Antoinette aux fêtes du Petit-Trianon, revenaient infiniment à l’empereur. Le ton de l’ancienne bonne compagnie française, qui pourtant n’était pas tout à fait le sien, ne laissait pas d’exercer un grand charme sur cet homme extraordinaire, le plus souvent livré aux continuels soucis de son absorbante