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lointain favorable, l’avenir qu’elle lui préparait. Il en fut assez ébloui pour se montrer encore plus docile et pour se placer, instrument passif, dans les mains de sa belle protectrice. Depuis lors, elle le mandait régulièrement lorsque sa présence pouvait servir à leurs secrètes visées, et très discrètement, sans lui permettre la moindre démarche hasardée, elle l’insinuait, autant que faire se pouvait, dans les bonnes grâces de son mari, dans l’intimité de leur fille aînée.

Ces souvenirs, qu’il a fallu détailler longuement, Muriel les embrassa d’un rapide coup d’œil. Elle se vit ensuite, comme elle l’était quinze jours auparavant, menacée de perdre par la mort précoce de Madeleine tout le profit de sa longue et habile diplomatie ? puis, grâce à l’arrivée de Chudleigh Wilmot, l’horizon s’éclaircissait, les chances redevenaient belles. Il rendait la vie à Madeleine, il rendait un avenir au frère de Stewart. Était-ce donc pour cela, pour cela seulement, que lady Muriel s’arrêtait avec tant de complaisance sur le souvenir de leurs premières entrevues ? Nous avons déjà dit ou plutôt laissé entendre que Wilmot joignait à la supériorité de l’intelligence des avantages d’un autre ordre, avantages dont les femmes se disent volontiers fort dédaigneuses, sans que l’expérience de la vie autorise à les prendre toujours au mot. L’ardeur d’une généreuse ambition éclairait le regard de ses yeux d’aigle. Sa taille haute et souple, la noble arcature de son front légèrement dégarni, la pâleur mate de son teint naturellement basané, l’énergie qui prêtait à chacun de ses mouvemens je ne sais quel charme impérieux, la douceur de son rare sourire, les vibrations de sa voix mâle et ferme, rien de tout cela n’avait été perdu pour sa belle hôtesse, d’ailleurs très peu en garde contre de pareilles impressions, et qui jusqu’alors n’avait pas seulement imaginé qu’elle pût en être susceptible.

Ce fut donc une découverte, et cette découverte, comme tant d’autres, avait été le résultat du hasard. En songeant à Wilmot, elle se rappela soudain, — tout le monde connaît ces phénomènes de la mémoire, — le brusque mouvement qui l’avait écarté de Madeleine au moment où il avait entendu la porte s’ouvrir, où il avait vu entrer la châtelaine de Rilsyth, puis cette exclamation si rapide, si vive, lorsqu’il avait été question de livrer aux ciseaux la chevelure de la jeune malade ; enfin, — la logique du souvenir a d’impitoyables enchaînemens, — quelques regards, quelques intonations de voix, auxquels lady Muriel ne s’était pas arrêtée sur le moment, et qui, faisant balle pour ainsi dire, lui revinrent en même temps avec un effet irrésistible. — L’aimerait-elle ?… et lui, l’aimerait-il ? — C’est en se posant ces deux questions, dont la