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célébrité. Faisait-il entrer dans ses calculs d’avenir une retraite prise à temps comme celle de son hôte, un sage abandon des profits et des hommages qu’un médecin en renom est à peu près certain de conserver jusqu’à ses derniers jours, s’il les veut acheter au prix de tout repos et de toute liberté ? C’est ce que nous ne saurions dire. En attendant, il paraissait jouir sans la moindre arrière-pensée de quelques jours de congé dérobés à ses cliens déjà nombreux, et sir Saville Rowe (le fameux docteur Rowe d’il y a trente ans) le remerciait in petto de se trouver si bien à Burnside.

— Maintenant que Duncan Forbes nous a quittés pour aller chez ses grands amis de Kilsyth, nous allons être tout à fait seuls. Cette perspective ne vous effraie donc pas, mon cher Wilmot ?

— Elle m’effraie si peu, repartit le plus jeune des deux interlocuteurs, que ce matin, sur mon oreiller, je me suis accordé deux jours de grâce… A défaut de motifs sérieux, j’ai des prétextes… Le Scalpel attend mon second article sur la fièvre intermittente, et comme le premier a soulevé une polémique avec le Times, il n’y a pas à reculer… Or je suis ici à la source des bons conseils, des sages critiques…

— Vous vous en passeriez fort bien, mauvais plaisant que vous êtes… Croyez-vous que j’aie oublié l’appui que vous me prêtiez naguère contre Macpherson, dans la fameuse question des anesthésiques ?… A nous deux, l’avons-nous assez battu !… Mais il ne s’en porte pas plus mal… Ces charlatans ont la vie dure… Bref, vous me restez, et je m’en félicite… Vos malades pourtant…

— Whittaker s’en est chargé,… du moins jusqu’au 3 du mois prochain. Il ne part de Londres que le 5 et ne s’en éloigne guère, car il prendra ses vacances à Guildford, sous l’œil jaloux de mistress Whittaker…

— Whittaker ?… Attendez donc ! Je l’ai connu, ce me semble ?… Il était d’une laideur…

— Que l’âge n’a point diminuée, croyez-le bien ;… mais le mariage a ses grâces d’état, et mistress Whittaker surveille de près cet Adonis qu’elle croit en butte à mille séductions.

— Je pardonnerais à mistress Wilmot quelques préoccupations de ce genre, poursuivit sir Saville, riant lui-même du compliment qu’il adressait à son ancien disciple.

— Elle ne les a pas, Dieu merci ! reprit celui-ci avec une pointe d’ironie qui affecta désagréablement l’oreille de son vieux confrère. A travers toutes les péripéties d’une laborieuse carrière, ce médecin de cour, devenu baronnet, n’en avait pas moins un cœur fort accessible à certaines faiblesses. On aurait pu compter dans sa vie plus d’un roman, dont l’un surtout, soigneusement ébruité par une