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grandissant, tandis que la seconde décline. Le roi David Bruce, héritier du trône, mais non du génie de son père, tombe au pouvoir des Anglais ; il eût donné sa couronne pour prix de sa rançon, si l’Écosse eût pu être donnée. Ce roi n’avait point renoncé à regarder son royaume comme une possession féodale. Le sentiment patriotique n’était pas plus vif chez les barons, c’est encore Shakspeare qui nous le montre. Dans la première partie de Henri IV, Archibald, comte de Douglas, un fier et vaillant Écossais prisonnier de Percy Hotspur, fait la guerre pour le compte de son vainqueur, comme s’il n’avait d’autre patrie que son comté et d’autre loi que son intérêt. C’était l’ordinaire au XIVe siècle. Ces grands feudataires passaient à l’ennemi et rentraient dans le devoir tour à tour, surtout ils se faisaient entre eux la guerre et se dépouillaient réciproquement durant les vicissitudes de la lutte des Baliol et des Bruce, entretenue avec soin par les Anglais. Il fallut un siècle et demi de ces déchiremens pour faire naître enfin au cœur de la nation le besoin et la passion de l’unité.

Le XVe siècle vit le triomphe de la nationalité sur l’esprit féodal. On peut dire qu’elle usa successivement la féodalité et la monarchie. Tour à tour l’esprit national servit aux rois pour les débarrasser de leurs barons les plus redoutables et aux barons pour se liguer contre les rois. L’arme dangereuse avec laquelle les Stuqrts, successeurs des Bruce, exterminaient les Douglas et les Boyd, c’était cette défiance éternelle d’un peuple contraint de veiller toujours sur ses frontières. Le prétexte dont les lords écossais couvrirent plus d’une fois leurs révoltes, c’étaient les relations vraies où prétendues du souverain avec l’Angleterre. Ainsi dans une place toujours assiégée les partis contraires se jettent à la face l’accusation de correspondre avec l’ennemi. De là tant de meurtres et de violences que l’on justifiait au nom du salut commun. Plusieurs familles puissantes furent traquées, exterminées entièrement ; toutes furent atteintes par des exécutions sanglantes ; presque tous les Stuarts périrent assassinés. Une seule force grandissait au milieu de ces vicissitudes, le sentiment national ; il a mûri dans le sang : aussi ne vit-on jamais de nation plus soupçonneuse. Sans doute il n’est pas de peuple ayant quelque respect de lui-même qui ne déteste le gouvernement ou même la prépondérance des étrangers ; les Écossais détestaient jusqu’à la vue des étrangers dans leur pays, fussent-ils des amis. Autant ils savaient se plier aux circonstances et à l’humeur d’autrui pour réussir au dehors, autant ils étaient chez eux intraitables. Notre alliance séculaire elle-même ne suffit pas pour nous mettre à l’abri de leurs ombrages. Si rien n’égalait leur bravoure et leur loyauté quand ils nous servaient sur le