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il s’aperçut qu’il avait de nouveaux maîtres, et toute sa haine d’autrefois contre la dynastie normande se réveilla en lui, fortifiée du sentiment de son droit, que lui donnait un état social plus avancé. On profita du procès que Philippe le Bel faisait à son tour à l’orgueilleux Edouard, et voilà la vieille alliance de la France et de l’Ecosse qui se noue pour la première fois. Il ne faut pas s’y tromper, ce ne fut pas le contrat d’un prince avec un autre. Pour faire foi d’une volonté nationale, les barons, les prélats, les villes, apposèrent leur sceau à côté de celui du roi Jean Baliol sur ce vénérable traité qui a lié deux peuples durant deux siècles et demi. Baliol fut battu, bien pis encore, réduit à se soumettre ; mais il périt seul dans son naufrage. La nation grandit au milieu des revers, et parvint à cette exaltation sublime qui inspire le dévouement et le sacrifice ; elle eut son premier héros dans William Wallace. Elle remporta sa première victoire sur l’Angleterre, et connut l’orgueil national, qui manquait seul à son patriotisme.

Wallace avait-il une haute place dans le monde féodal ? S’il avait survécu, était-il assez fort pour contenir les grands barons ? La réponse à la première question serait malaisée à faire ; Wallace est tout juste assez connu pour appartenir également à la fiction et à l’histoire, et il est probable que sans l’appui de l’esprit féodal l’Ecosse eût fini par succomber. Les barons n’étaient plus assez puissans pour disposer de la nation, ils l’étaient trop pour qu’il fût possible à la nation de se passer d’eux. Elle était sans doute perdue, s’ils s’étaient mis d’accord contre elle. C’est là le moment solennel qui nous semble marquer une nouvelle période dans l’histoire de la nationalité. Il était réservé à Robert Bruce, au petit-fils de celui qui avait plaidé misérablement devant Edouard Ier d’abord la royauté indivisible avec la condition du vasselage, ensuite, le déchirement de l’Ecosse en trois ou quatre lambeaux, il était réservé au descendant des Robert de Brus, des barons normands établis dans le pays par la conquête, de signer l’alliance entre l’esprit féodal et la nationalité.

Qu’était ce Robert Bruce ? Il avait dix-sept ans lorsque son aïeul demandait avec l’âpreté d’un plaideur acharné son royal héritage. La conduite du grand-père fut très féodale et peu chevaleresque. Celle de son père avait été tout cela en même temps, mais singulièrement pacifique. Ce père était beau cavalier. Un jour il rencontra la veuve d’un comte mort à la croisade qui allait à la chasse au milieu d’une joyeuse compagnie de dames et d’écuyers. Le noble chevalier, salué par la comtesse, lui rendit son salut avec la familiarité que le bel usage du temps autorisait, mais s’excusa de prendre part à la chasse. La comtesse, jeune et belle, n’était pas accoutumée aux