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l’ancêtre de cet autre Robert qui devait identifier sa cause et son nom avec la liberté écossaise affranchie de l’Angleterre ? Il ne faut pas se hâter de croire que le sentiment de la patrie fût dès lors bien précis et bien puissant. Dans la nationalité, il y a quelque chose de plus noble que la lutte d’une force barbare contre une force réglée et savante. Une haine commune n’est qu’un des élémens qui entrent dans l’idée de nation ; il y faut encore une destinée commune et le dévouement à cette destinée. De plus la civilisation est bien forte pour dissoudre les associations de la barbarie, l’une et l’autre ne s’allient qu’au prix de concessions réciproques ; c’est ce qui arriva pour l’Écosse. Durant les luttes obscures qui succédèrent à la bataille de l’Étendard, la nation accomplit sa lente et pénible croissance sous la tutelle de l’esprit féodal, sous le joug, même des hommes qui pactisaient avec les Anglo-Normands. Quand il y eût une sorte de balance entre les deux civilisations, deux barons, un Baliol et un Bruce, dont les ancêtres étaient pourtant du côté des Anglais à la bataille de l’Étendard, se disputèrent la couronne d’Écosse. La victoire de Robert Bruce, petit-fils du compétiteur de Baliol sous Edouard Ier, marqua le triomphe de la cause de tous. Ce qui n’avait été que résistance aveugle contre une civilisation supérieure devint nationalité ferme et résolue. Alors commence une seconde période où l’esprit féodal et la nationalité, tout en se combattant souvent l’un l’autre, dirigent l’Écosse et la poussent en avant. Dans la troisième et dernière période, qui commence au XVe siècle, la nationalité, incomparablement plus forte que l’esprit féodal, et l’entraînant bon gré mal gré, livra ses plus grandes batailles, puis signa la paix avec l’Angleterre, et prépara lentement, librement son union avec elle.

L’absence de députés écossais au tribunal d’Edouard Ier et la marche même du procès de succession nous ont prouvé déjà combien l’esprit féodal, à la fin du XIIIe siècle, recouvrait et cachait toute autre idée politique. De la nation écossaise, il n’en est pas plus fait mention que des fermiers et locataires dans une vente de biens. Jusqu’à quel point un peuple fier, ayant des états, un parlement, une classe moyenne entre les hauts barons et les vassaux infimes, pouvait-il souffrir qu’on disposât ainsi de lui sans lui ? Jusqu’à quel point ressentait-il l’insulte de cette procédure ? Nul ne bougea en Écosse, il ne s’était rien fait encore qui fut de nature à provoquer ni à justifier la résistance ; mais quand le peuple apprit par des faits que le roi d’Écosse n’était plus souverain et que les jugemens portés en son nom pouvaient être cassés par le roi d’Angleterre, quand il se vit humilié dans ses états et opprimé dans son roi, quand il eut à supporter des soldats étrangers, à payer des impôts anglais,