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M. Burton a fait beaucoup mieux qu’un raid ou qu’une chevauchée. Son livre est une grande et belle histoire qui a les proportions et la grâce sérieuse d’un monument ; mais je n’en aurai pas diminué le mérite lorsque j’aurai montré qu’il a profité çà et là de l’occasion pour une riposte heureuse ou habile. Ces petites guerres de la science en dessinent la physionomie et l’esprit.

L’auteur original d’une Histoire de la civilisation d’Angleterre, M. Buckle, et le célèbre archéologue, le docteur en féodalité le plus savant peut-être de la Grande-Bretagne, sir Francis Palgrave, ont tous les deux fait sur le terrain de M. Burton une campagne dont celui-ci a gardé le souvenir. Le premier exagère la pauvreté, la pénurie de l’Écosse avant le XVIe siècle, c’est-à-dire avant le temps où, tombée sous la tutelle de l’Angleterre, elle s’associait peu à peu aux profits de son opulente voisine. Le second, dans ses Documens sur l’histoire d’Écosse, croyant découvrir dans le chaos de l’heptarchie et des petites royautés pictes, gaéliques et norses une tendance constante à une monarchie universelle, a tout simplement exhumé une vieille prétention des Plantagenets et fait de l’Écosse un fief de l’Angleterre. Ainsi l’un a blessé l’amour-propre national, très vif de l’autre côté de la Tweed ; l’autre recommence un procès qui met en péril ce que ce pays a estimé par-dessus toute chose, son droit d’égalité. Quelques instans accordés à leurs discussions nous permettront d’entrevoir dans quels pièges l’histoire est sujette à tomber de nos jours et aussi de quelles ressources elle dispose pour s’en tirer.

Pourquoi Buckle, que notre auteur ne nomme pas, mais qu’il a eu certainement en vue plusieurs fois, exagère-t-il la pauvreté écossaise ? C’est qu’en Écosse les terreurs religieuses, le penchant à la superstition, le dévouement absolu au clergé, trouvaient, suivant lui, une explication naturelle dans une complète indigence. Ce n’est qu’un peuple malheureux qui se fait de la vie une menace perpétuelle et de la nature une source inépuisable d’épouvantes. Une nation de misérables vit dans l’effroi et le tremblement. Pour justifier des superstitions sans exemple, il faut un dénûment sans égal. Là-dessus Buckle ramasse tous les faits particuliers épars dans les chroniques, les dévastations, les descriptions d’horribles disettes, les loups et autres bêtes sauvages errant autour des demeures des hommes, les crimes enfantés par la famine, un ménage de cannibales découvert dans le voisinage de Perth. Il compte le petit nombre des habitans dans les villes, recueille les témoignages des voyageurs sur l’héréditaire malpropreté des Écossais. Aucun détail ne lui paraît trop petit ni ne le rebute : il n’y avait pas une manufacture de savon dans toute l’Écosse au milieu du dernier siècle ; changer de linge était une marque de luxe, et