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deux magnifiques statues du roi Chafra ou Chephren que M. Mariette a découvertes avec cinq autres plus mutilées du même pharaon dans la chapelle voisine du grand sphinx où celui-ci était adoré sous le nom d’Armachis, personnification du soleil levant. Ces deux statues figurent aujourd’hui dans le parc de l’exposition. L’une d’elles est d’une conservation si parfaite qu’on la croirait sortie tout récemment des mains du sculpteur, quoiqu’elle ait plus de cinq mille ans. L’auteur de la deuxième pyramide a déjà reçu cette pose hiératique qui ne varia plus jusqu’à la chute définitive de l’empire égyptien. Sous la XIVe dynastie, la sculpture devint moins réaliste qu’elle ne l’était au temps des IVe, Ve et VIe dynasties, dont les figures si pleines de vérité et d’expression retirées de la nécropole de Sakkarah, caractérisent mieux qu’aucune autre la statuaire de ces âges reculés. Il suffit pour s’en convaincre de comparer ces curieuses statues, dont plusieurs sont à l’exposition, aux figures de Thoutmès et d’Aménophis que possède le musée du Turin. Sous la XXVIe dynastie, l’art égyptien n’a plus la même vérité d’expression qui frappe tant dans les statues des anciennes dynasties, mais il acquiert plus de délicatesse et de fini. C’est sous ces rois que furent, construits à Saïs les portiques du temple de Phtah, qu’Hérodote met au-dessus de tout ce qu’il avait vu en Égypte. L’art ne commence vraiment à décliner que sous les Ptolémées, au contact de l’art grec, qui produit sur lui le même effet qu’une civilisation d’un ordre supérieur sur une civilisation d’un ordre moins élevé ; au lieu de régénérer celle-ci, la première l’altère et la frappe d’impuissance. L’art pharaonique fut de même poussé à la décadence par ses relations avec celui des Hellènes. Ainsi, durant sa longue existence, l’art égyptien, tout en subissant des variations dues aux transformations du goût, au changement des habitudes et à la modification de certaines idées, est constamment demeuré empreint d’un caractère hiératique ; il est resté enfermé dans le cercle que le sacerdoce lui avait tracé, et il s’est éteint sans se métamorphoser.


III

Une dernière preuve que l’Égypte fut avant tout une théocratie, que son histoire fut conséquemment, comme celle des Israélites, plutôt une histoire sacrée qu’une histoire profane, c’est que ses annales militaires mêmes ne sont, pour ainsi dire, que les fastes de l’action divine. Les victoires qui ont si fort étendu la puissance des pharaons sont les témoignages de la protection dont les ont entourés les dieux. Voilà pourquoi ces hauts faits ornaient les murailles extérieures des temples. Les discours que les légendes mettent dans la bouche des divinités ou des rois attestent le caractère