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façon, la prépondérance sacerdotale n’avait à redouter aucune révolte, et après avoir subsisté quatre mille ans, peut-être, davantage, elle n’a pu être détruite que par une foi religieuse nouvelle qui s’empara des esprits quand le contact avec les idées helléniques, dû à l’établissement de la dynastie des Ptolémées, eut ébranlé l’omnipotence de la théologie nationale. Nous allons nous en convaincre en étudiant d’après les monumens récemment expliqués cette religion des pharaons, qui apparaissait aux Grecs entourée d’un cortège si imposant de mystères et avait chez eux un tel renom de sagesse.

Hérodote, en visitant l’Égypte, fut frappé de l’excessive dévotion des habitans ; aussi nous les représente-t-il comme les plus religieux des hommes et surpassant tous les autres peuples par le culte qu’ils rendent aux dieux. En effet, sans parler de ces pompes sacrées dont la majesté frappait vivement les étrangers, de ces fêtes magnifiques où l’on portait processionnellement les naos ou châsses des divinités et les barques qui leur étaient consacrées, fêtes innombrables dont le calendrier était souvent inscrit à l’entrée des temples, sans rappeler ces vastes sanctuaires où les bas-reliefs, les peintures, les décorations, étaient répandus à profusion, on se trouvait sans cesse sur les bords du Nil en présence d’une pensée religieuse. Tout en Égypte portait l’empreinte de la religion. L’écriture était si remplie de symboles sacrées et d’allusions aux mythes divine, qu’en dehors de la religion égyptienne l’emploi en devenait pour ainsi dire impossible. Les lettres et les sciences n’étaient que des branches de la théologie, et les livres qui en traitaient formaient une sorte de code sacré dont la composition était attribuée à un dieu, Thoth, assimilé par les Grecs à leur Hermès. Les arts ne travaillaient guère qu’en vue du culte et pour la glorification des dieux ou des rois divinisés. Les prescriptions religieuses étaient si multipliées, si impératives, qu’il n’était pas possible d’exercer une profession, de pourvoir même à sa nourriture et à ses premiers besoins sans avoir constamment présentes à la mémoire les règles établies par les prêtres. Chaque province avait ses dieux spéciaux, ses rites particuliers, ses animaux sacrés. Il semble même que l’élément sacerdotal ait présidé dans le principe à la distribution du pays en nomes, et que ce fussent à l’origine des districts religieux. L’Égyptien ne vivait en réalité que pour pratiquer son culte, et, de même que le pharaon était avant tout préoccupé de son identification future avec la Divinité, son fidèle sujet n’avait ici-bas d’autre pensée que le sort qui l’attendait dans l’autre vie. Cette existence future, il croyait en apercevoir dans mille phénomènes naturels les images et les symboles ; mais elle lui était plus particulièrement annoncée par le cours quotidien du soleil. Cet astre lui semblait reproduire chaque jour dans la marche qu’il accomplit les