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aujourd’hui n’y a-t-il pas un parti russe à la Burg, auquel l’opinion publique assigne pour chefs le comte Mensdorff, et le vainqueur de Custoza ? Ce parti veut à tout prix gagner l’amitié du tsar, lui sacrifier même la Galicie au besoin, dans l’espoir d’obtenir un protecteur, d’avoir la paix, de « sauver le reste !… » En prenant l’offensive ou en temporisant, en invoquant le dieu Mars ou le dieu Chronos, — et à moins d’une action prompte et résolue de l’Europe, — la Russie est donc également sûre d’arriver à ses fins, d’absorber à un jour donné l’Autriche de concert avec la Prusse, — et alors que deviendra le monde ? Que deviendront l’équilibre, la liberté et la civilisation de l’Occident ? Que fera la France ? Souscrira-t-on à cette « déchéance de la race latine » que proclamait déjà le vieux prince Metternich au moment de mourir ? Ou bien essaiera-t-on d’opposer aux deux grandes agglomérations pangermanique et panslave une grande agglomération panromane ? et ira-t-on s’annexer l’Italie et l’Espagne ? Cela sera-t-il possible ? cela sera-t-il seulement, désirable, et les sociétés vieillies et affinées du sud sauront-elles faire contre-poids aux races dures et rudes du nord ?

Lorsque l’on considère ainsi la situation terrible qu’une série de fautes et de malheurs a créée au vieil empire des Habsbourg, lorsqu’on le voit ainsi s’acheminer plus ou moins lentement, mais fatalement vers la décomposition et la ruine, on est presque involontairement amené à se demander si l’Autriche ne ferait pas mieux de ne prendre conseil que de son danger même et de tenter un suprême effort. Si, au lieu d’attendre patiemment les suites mortelles de la propagande panslaviste, elle en demandait compté au fauteur, et, le devançant dans l’offensive, elle transportait la guerre sur ses frontières, sur le point le plus vulnérable de l’empire des tsars ?… Qu’on veuille bien ne pas s’effrayer d’une pareille hypothèse, dans tous les cas si improbable ; qu’on veuille bien, au milieu des tristesses et des ténèbres dont nous entoure la réalité des choses, permettre à la pensée cette échappée, cet éclair d’un moment ! Si donc l’Autriche, tandis qu’elle peut encore disposer du reste de ses forces et que l’attention de l’Occident n’est point détournée par des questions intérieures, — par les questions sociales surtout qui, elles aussi, menacent à l’horizon, — si l’Autriche en appelait au Dieu des armées contre son ennemi principal, l’ennemi qui veut l’éliminer du monde slave, son dernier refuge après qu’elle a perdu l’Italie et l’Allemagne, dans cette lutte suprême elle aurait pour alliée la Turquie, menacée du même sort, la Hongrie, dont l’ardeur ne serait pas douteuse, et il n’est pas jusqu’à la Pologne, si abattue et si agonisante, qui ne deviendrait en de telles occurrences un auxiliaire précieux. Et l’Europe, l’Europe