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employer à leur égard ce ton d’autorité qui est si naturel au musulman au milieu de ses tributaires. Quant au culte dont le nom impérial était autrefois l’objet, aux dévouemens admirables qu’il savait jadis provoquer, le moyen d’y compter après la perte de sa haute position en Allemagne, d’où venait le principal prestige, après des désastres si terribles et si multipliés qui ont découragé l’armée et ôté à la bureaucratie toute confiance en elle-même ? Ayant ainsi à son choix les deux proies également convoitées, qui voudra affirmer que ce n’est point sur l’Autriche que fondra d’abord « l’aigle du Caucase, » alors, surtout qu’il y sera poussé par le vautour prussien, avide de son côté de consommer son œuvre allemande ? Qui osera prédire que ce n’est point par la Galicie de préférence que commencera le « mouvement offensif » auquel M. Rieger conviait ses frères moscovites dans son discours du 4 juin ? « Vous, Russes, disait-il, vous êtes les premiers dans la défensive, vous avez repoussé l’invasion de Napoléon, vous êtes restés vainqueurs quand toute l’Europe a pris l’offensive envers vous. Maintenant il faut que vous soyez aussi les premiers dans le mouvement offensif. »

Il est probable toutefois que le cabinet de Saint-Pétersbourg ne prendra pas l’offensive, qu’il préférera patienter, attendre, laisser s’accomplir le procès de dissolution. Quiconque a étudié le partage de la Pologne, — la grande école de la politique moscovite, — sait que Catherine II n’avait d’abord nullement songé à démembrer ce malheureux pays ; elle voulait seulement empêcher la république de changer de forme de gouvernement, y prévenir par tous les moyens l’établissement d’une monarchie constitutionnelle et forte. Elle ne demandait pas mieux que de laisser une telle république dans l’état où elle était, faible et s’affaiblissant de plus en plus, jusqu’au moment où elle se serait écroulée d’elle-même aux pieds de la tsarine ; ce n’est que l’impatience et l’initiative de la Prusse qui décidèrent l’œuvre de 1772. De même est-il peut-être dans les destinées de la Prusse de forcer encore un jour la main à la Russie dans le partage de l’Autriche. Laissé à ses propres inspirations, le cabinet de Saint-Pétersbourg voudra garder l’expectative et se fier au temps, son grand auxiliaire, auquel il viendra d’ailleurs en aide par des mouvemens bien combinés. Il veillera surtout à ce que l’empire des Habsbourg ne puisse se constituer fortement et d’une manière normale, et il continuera ses congrès scientifiques, ses expositions ethnologiques et ses liens moraux avec les Slaves. Il excitera, de plus en plus les Tchèques, les Ruthènes, les Croates ; il plaidera leur cause, il sera l’intermédiaire généreux ; il protégera l’Autriche, il deviendra même son ami et se créera un fort parti dans le gouvernement. Déjà