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Chose curieuse, ce dont il fut le moins parlé à Moscou pendant tout le séjour des « hôtes slaves, » ce fut précisément cette exposition ethnologique pour laquelle ils avaient cependant été principalement invités, et dont le « grand intérêt scientifique » avait servi de prétexte à toute cette série de démonstrations ! La collection des « types, » qui avait tant donné à penser et à espérer à « l’éminent » professeur Ramazanov, la magnifique exhibition qui avait défrayé une telle multitude de programmes et de correspondances avec toutes les sociétés savantes du monde slave, les illustres touristes ne lui consacrèrent qu’une heure : guarda e passa ! « Chronos a donné naissance à Jupiter, avoue ingénument l’Invalide russe du 7 juin ; mais le fils est devenu plus grand que le père. L’exposition a attiré les Slaves à Moscou, mais elle n’a donné ainsi que le signal ; les circonstances ont créé d’un incident insignifiant un fait colossal, un véritable événement… » Le fait colossal engloutit non-seulement l’exposition ethnologique, mais aussi ce congrès dont on avait d’abord entretenu le public avec tant d’importance et même quelque peu de mystère. Parmi les différentes journées ou semaines slaves des mois de mai et de juin, nous avons cherché en vain quelque chose approchant d’un congrès dans le sens que l’Occident décrépit attache à ce mot, à moins qu’on ne veuille donner ce nom prétentieux à l’assemblée qui tint sa séance d’un jour (30 mai) dans la grande salle de l’université de Moscou, — séance de quelques heures, complétée le lendemain par un « dîner académique » dans la même salle. À cette réunion assistèrent les professeurs de Moscou, les députés slaves, les représentans des dix-huit sociétés scientifiques et littéraires de Russie, beaucoup de généraux et de hauts tchinovniks. Le recteur, M. Barchev, insista sur la légitimité des aspirations du monde slave. « De nos jours, les nations divisées tendent toutes irrésistiblement vers l’agglomération et l’unité ; cette tendance trouve une pleine approbation dans les sphères de la diplomatie européenne, est même mise en avant comme principe d’un nouveau droit des gens. Il est clair que dans de pareilles circonstances nos efforts vers l’union sont parfaitement légitimes et doivent être reconnus comme tels en Europe… Fortement attachés les uns aux autres par tous les liens du sang et de l’esprit, que ne pourront accomplir les Slaves dans un élan commun ! Les montagnes seront déplacées, si nous les attaquons ensemble !… Unissons-nous, comme se sont unies en un seul tout l’Italie et l’Allemagne, et le nom de la grande nation réunie sera : géant !… »

Ensuite parlèrent les représentans des diverses sociétés convoquées, chacun au point de vue de sa spécialité, mais tous avec la conclusion identique de l’unité du monde-slave sous l’égide de la