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négoce, très au fait de la route à parcourir et en relations suivies avec les autorités de l’endroit. Plus cultivés que leurs « frères » de la Croatie, de la Dalmatie, du Banat, mieux initiés à la vie politique et en contact direct avec les meneurs russes, les Tchèques de la Bohême ont depuis longtemps la haute gérance du mouvement slave en Autriche. La manifestation d’à présent était presque exclusivement leur œuvre, et ils devaient jouer le rôle principal dans les fêtes de Moscou et de Saint-Pétersbourg. Avant de se mettre à la tête de la caravane, les chefs du parti tchèque, MM. Palaçky et Rieger, avaient même poussé une pointe à Paris. Ils rêvaient à leur tour quelque Plombières ou quelque Biarritz, ils ne désespéraient pas d’intéresser un souverain à toute une douzaine de nationalités « méconnues, » à une combinaison « grandiose » qui aurait changé la face du monde ! Ils firent aussi une tentative auprès des Polonais, et se montrèrent débordans de sympathie, prodigues de promesses… Ils ne tardèrent pas cependant à se convaincre de l’inanité de leurs efforts, et rejoignirent en toute hâte leurs compagnons, qui les avaient déjà devancés jusqu’à Varsovie.

A part ces quelques chefs tchèques d’une notoriété véritable, — M. Palaçky, élevé en 1861 à la dignité de pair par l’empereur François-Joseph, est un savant de mérite[1], MM. Rieger et Brauner ont marqué dans les divers parlemens de l’Autriche, — le reste de la « députation slave » (une centaine de personnes à peu près) se composait d’hommes parfaitement obscurs ou dont la célébrité ne dépassait guère le petit clocher natal. C’étaient pour la plupart des avocats, des médecins, des pédagogues et des journalistes ; il y avait aussi une quantité de popes et d’archimandrites et, probablement comme hommage aux tendances démocratiques du siècle, quelques rudes paysans. Certes ces « notables » de la Croatie, de la Serbie, de la Bulgarie et de la Tchernogora n’auraient point fait grande figure dans telle réunion politique ou littéraire de l’Occident ; on ne saurait le nier cependant, dans le monde qui leur était propre, ils ne laissaient pas d’avoir un véritable poids ; ils représentaient à certains égards et jusqu’à un certain point l’intelligence et l’activité morale de peuplades naïves et fort peu avancées dans la civilisation. Du reste, et pour bien les connaître, il faut étudier les lettres qu’ils envoyaient aux petits journaux de leurs pays pendant leur séjour en Russie[2] ; tout en y voulant donner leurs

  1. M. Saint-René Taillandier a fait connaître à nos lecteurs la principale œuvre de M. Palaçky, l’Histoire de la Bohême. (Voyez la Revue du 15 avril 1855.)
  2. Le Politik, les Narodni Noviny (tchèque), le Slovo (ruthène), le Zastava (serbe), etc. Ces correspondances, écrites au passage et pour ainsi dire au débotté, donnent toujours l’impression première et vraie. Les grands journaux russes sont loin d’avoir cette originalité, on y sent l’art et l’apprêt.