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de l’administration et du patriotisme, » enrichie de dons généreux de tant de « peuples-frères, » l’exposition ethnologique fut enfin inaugurée le 5 mai 1867 dans le manège de Moscou, vaste parallélogramme qui fait face aux bâtimens de l’université, et qui, dans les temps ordinaires, sert de lieu d’exercice pour l’infanterie. L’empereur avec toute sa famille, — avec la belle princesse Dagmar entre autres, récemment mariée au grand-duc héritier, — était venu exprès de Saint-Pétersbourg pour assister à cette fête nationale ; les jours suivans, de nombreuses députations des divers « corps savans et administratifs » de l’empire défilèrent à leur tour dans les galeries du manège, et pendant près de deux mois tout enfant de Rourik put, moyennant le prix d’entrée d’un rouble d’argent, rassasier ses yeux des merveilles de l’exposition. Le spectacle était à coup sûr peu commun, unique même en son genre, bien capable de transporter d’aise Caliban et de faire enfouir sa baguette à Prospero jusque dans les noires profondeurs du Tartare. Au milieu de la grande galerie s’élevait la loge impériale, « vaste et élégante tribune[1], » le centre symbolique en quelque sorte du « monde slave, » qui se déroulait tout autour. Près de la loge impériale, une décoration représentait un bois de pins et de sapins avec un clocher d’église de village, un moulin à vent, plusieurs izbas (maisons villageoises) et une foire ; c’était le groupe grand-russien aux « types » très nombreux et divers, aux mannequins figurant une famille de paysans, un forgeron « aux bras athlétiques, » un montreur d’ours « avec son formidable quadrupède, » une tsigane (bohémienne) « tellement vivante et typique que l’on avait envie de lui faire l’aumône. » N’oublions pas non plus « une petite boutique dans laquelle on a réuni tout ce que produit l’industrie du paysan grand-russien et tout ce qui fait l’objet de son commerce : du goudron de bouleau, des cordes, des chandelles, des pains d’épice, des chaussures de tille, des bas de laine et d’énormes souliers. » Plus loin, le groupe petit-russien sollicitait les regards du curieux : « une mazanka (chaumière) avec une cigogne sur le toit et un buisson d’osier en fleur près du perron. » A l’entrée se tenait un vieillard « avec sa chemise passée par-dessus son pantalon ; » près du perron était assise une grand’mère avec ses deux petits-enfans, « dont l’un portait un melon qui l’obligeait à se courber du côté de son fardeau. » Au fond passait un charretier qui était tout simplement a un idéal de vérité. » — « La téléga (petite voiture à quatre roues), le chien qui se tenait sous la caisse pour être à l’ombre, la marmite de route, les bœufs fatigués, enfin le

  1. Les détails qui suivent, jusqu’aux expressions, sont empruntés aux journaux russes, notamment à la Gazette de Moscou du 8 mai et au Supplément hebdomadaire du 9 juin.