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Brünn, de Saraïevo, de Kragouïevatz, furent mises en branle, et les pays du Danube et du Balkan parcourus en tout sens par de nombreux émissaires moscovites, — pionniers zélés d’une « science » passablement occulte, en quête d’adhésions, d’échantillons et de « types. » Le précieux concours ainsi heureusement obtenu, il parut convenable de faire jouir les « frères, » — les plus renommés et les plus marquans du moins parmi eux, — de l’œuvre commune de les inviter à honorer de leur présence la patriotique exhibition, et des comités furent formés sur les divers points de l’empire afin de dignement préparer la réception des « hôtes slaves » sur le sol de la sainte Russie. N’était-il pas évident aussi qu’une rencontre de tant d’hommes illustres amènerait nécessairement un utile échange d’idées et de vues, poserait plus d’un problème grave, vital, et qui demanderait une solution ? A côté de l’exposition slave, il fut donc bientôt parlé d’un congrès slave, de réunions fraternelles où l’on s’expliquerait sur les besoins et les intérêts, les espérances et les doléances de la grande patrie commune de la patrie idéale… Bien entendu, les discussions seraient purement théoriques, spéculatives, idéales, — les prescriptions de l’autorité étaient très formelles sur ce point, — le tout se passerait dans la sphère paisible et sereine de la science ; mais il y a avec la science des accommodemens, alors surtout qu’elle est représentée et dirigée par des chambellans, des colonels et des archimandrites moscovites. Rien de plus curieux que le langage que crut devoir tenir à cet égard (avril 1867) la Correspondance russe, l’organe officieux et intime du cabinet de Saint-Pétersbourg[1]. La feuille ministérielle commençait d’abord par rappeler une vérité incontestable et reconnue par tout homme de bonne foi, à savoir que la Russie a de tout temps désiré le bien-être des Slaves, sans aucune arrière-pensée d’ambition. « Ceci posé, on ne peut raisonnablement exiger de nous que nous reniions notre passé. Nous laisserons donc croire à nos hôtes qu’ils sont venus chez une nation sœur dont ils ont tout à attendre sans avoir rien à craindre d’elle ; nous écoulerons leurs griefs, et le récit de leurs maux ne pourra que resserrer les liens qui nous unissent à eux. Si maintenant ils s’avisent d’établir une comparaison entre leur état politique et le nôtre, nous ne serons pas assez niais pour leur prouver qu’ils sont dans les conditions les plus favorables du développement slave. Ces conditions, nous les croyons au contraire mauvaises, nous l’avons dit cent fois, et nous pourrions bien le redire encore… »

Longuement mûrie, appuyée de tous les secours « de la science,

  1. C’est une publication française émanant des bureaux de M. de Valouïev, le ministre de l’intérieur, et destinée à « éclairer » l’opinion étrangère sur les faits et gestes du gouvernement russe.