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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


l’archevêque, qui avait voulu les réformer, un d’eux ayant pris parti dans sa cause et chassé des prêtres intrus, les soldats coururent sus aux moines. On les massacra dans leurs églises, on fouilla leurs cloîtres pour les égorger, on les poursuivit l’épée au poing jusque dans les rues, quand ils parvenaient à fuir. Un auteur païen raconte que plusieurs habitans de la ville périrent sous les coups des soldats parce qu’ils portaient des vêtemens noirs, soit pour cause de deuil, soit pour tout autre motif, et qu’ils ressemblaient à des moines. Cet incident, à ce qu’il paraît, fut fort du goût des polythéistes, qui triomphèrent de voir des mains chrétiennes les débarrasser des hommes aux manteaux noirs, leurs mortels ennemis, les destructeurs acharnés de leurs temples et les violateurs de leurs mystères.

Telle fut la journée de Théophile, de l’Égyptien, comme l’appelaient les joannites. La nuit appartint à d’autres épouvantes et à d’autres fureurs. Des secousses de tremblement de terre se firent sentir au faubourg de l’Hebdomon, et, s’étendant avec une plus grande intensité vers le centre de la ville, ébranlèrent les quartiers opulens et en particulier celui de la résidence impériale. Dans la chambre de l’impératrice, le lit, soulevé avec force, roula sur le pavé. Eudoxie crut sa dernière heure venue, et, se précipitant pâle et les cheveux épars dans la chambre de son mari, « l’homme qu’on nous a fait bannir est un juste, lui dit-elle avec angoisse, et Dieu se charge de le venger. Si vous voulez conserver l’empire, faites qu’il soit rappelé sans retard. » Joignant les larmes aux supplications, elle resta agenouillée jusqu’à ce que l’empereur lui en eût fait la promesse solennelle. Plus rassurée alors, elle écrivit à l’archevêque la lettre suivante : « Je supplie ta sainteté de ne pas croire que j’aie pris part aux choses qui se sont passées à ton sujet. Je suis innocente de ton sang. Ce sont des hommes méchans et corrompus qui ont formé un complot contre toi. Dieu est témoin de la vérité de mes paroles, comme aussi des larmes que je lui offre en sacrifice. »

Le jour n’était pas encore levé, que déjà un des officiers de la cour recevait d’elle l’ordre de partir pour Hiéron afin de remettre cette lettre en mains propres à l’exilé et d’ajouter de vive voix qu’elle voulait qu’il revînt, que son prompt retour pouvait seul conjurer la ruine de la ville. Ce premier envoyé ne reparaissant point, Eudoxie impatiente en dépêcha un second, puis un troisième ; ce que voyant le peuple, il craignit qu’on ne lui cachât quelque chose de sinistre, et beaucoup de gens se mirent à la recherche de l’archevêque, de sorte que la Propontide se trouva sillonnée de nombreux navires, entre la côte de Thrace et celle de Bithynie. Pendant ce temps-