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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


suivant toute apparence vers le soir. Le lendemain matin avant midi, Chrysostome voyait entrer chez lui un comte du palais impérial qui le somma, au nom de l’empereur, de quitter la ville sur-le-champ. « L’empereur ne veut plus de retard, lui dit-il ; un navire est prêt pour te conduire au lieu marqué pour ton bannissement : au moindre signe de résistance, j’ai l’ordre de te faire enlever par des soldats. » C’était infailliblement une bataille qui s’annonçait aux portes de la basilique et une terrible effusion de sang. Cette image se présenta à la pensée de Chrysostome et le fit frémir. S’approchant de l’officier impérial et des appariteurs de son escorte, il leur dit : « Me voici, conduisez-moi où vous voudrez. » L’officier le remit à la garde d’un curieux (on appelait ainsi les agens supérieurs de la police), et reprit avec ses appariteurs le chemin du palais en traversant la foule. Il devait retrouver Chrysostome dans un autre lieu. Le cloître qui séparait la basilique de l’archevêché communiquait par une porte secrète avec un quartier retiré de la ville. Chrysostome et son gardien sortirent par là sans être aperçus, et gagnèrent une maison située dans le voisinage, où ils restèrent cachés jusqu’au soir. La nuit venue, le curieux et le prisonnier se mirent en marche vers le port par des rues détournées, espérant n’être point reconnus ; mais, comme ils approchaient du port, des gens du peuple signalèrent Chrysostome, et le bruit se répandit rapidement dans la ville qu’on enlevait l’archevêque. Des groupes nombreux accoururent alors pour empêcher son départ, mais Chrysostome les contint avec autorité. « Laissez-moi partir, leur dit-il ; je dois obéissance à l’empereur, et d’ailleurs une goutte du sang de mon peuple ne sera pas versée pour moi. Je confie ma cause au futur concile. » L’obscurité, de plus en plus épaisse, protégea sa retraite. Le même comte impérial était au port avec des soldats et des matelots ; ils entourèrent l’archevêque et montèrent avec lui dans le navire, qui leva l’ancre aussitôt.

Il cingla à travers la Propontide jusqu’à la ville de Hiéron, port de la Bithynie, où le comte avait mission de déposer Chrysostome. La nuit durait encore. Le navire s’étant approché de terre, les gardes y descendirent l’exilé et reprirent la mer. Le choix de ce lieu, trop voisin de Chalcédoine, parut suspect à l’archevêque ; il y soupçonna un piége pour le faire tomber aux mains de ses ennemis, et à ses yeux mieux valait mille fois la mort. Avant donc que le jour fût levé et l’éveil donné aux magistrats, il loua lui-même une barque, et, longeant la côte, il se fit conduire au golfe d’Astacus, dans la petite ville de Prénète, située sur la rive opposée à Nicomédie. Il y avait dans le voisinage, au milieu des champs, une villa dont il connaissait le maître et où il se rendit pour se cacher. Son pre-