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fut bientôt désert. De temps en temps un officier impérial avec quelques appariteurs allait au palais épiscopal signifier à l’archevêque qu’il devait se préparer à partir ; l’archevêque opposait un refus, l’officier se retirait, et l’empereur défendait d’employer la force. Réuni en masse compacte autour de la basilique et de l’archevêché, qui se reliaient l’un à l’autre par un cloître, le peuple se tenait en sentinelle jour et nuit, balancé entre l’espérance et la crainte. Point de menaces pourtant, point de paroles outrageantes contre le prince et ses officiers. Un seul cri sortait de toutes les bouches et allait retentir par intervalles jusque sous la demeure d’Arcadius : « nous demandons un concile général ; il faut un vrai concile pour juger l’archevêque ! » C’était le mot d’ordre du peuple, c’était aussi celui de Chrysostome. « Un faux concile m’a condamné, répétait-il, un vrai concile doit m’absoudre ici, dans mon église, et prononcer entre mes juges et moi. »

Bloqué pour ainsi dire et comme emprisonné dans cette muraille vivante que lui créait l’affection du peuple, et qu’il y eût eu péril à vouloir rompre pour user de violence envers lui, il passait incessamment de sa demeure à la basilique et de la basilique à sa demeure. Ici il avait à consoler ses serviteurs et quelques prêtres fidèles, là une foule éperdue que sa vue et ses paroles remplissaient de douleur et de joie. Les nouvelles qui se succédaient d’instant en instant devenaient de plus en plus sinistres. On signalait des députations d’évêques venus coup sur coup de Chalcédoine supplier l’empereur d’assurer par la force la sentence et l’autorité du concile, et l’impératrice se joignait à eux, essayant toutes ses séductions sur son faible mari. Déjà, disait-on, il s’agissait non plus de l’exil, mais de la mort. Tels étaient les bruits répandus, l’archevêque lui-même croyait sa mort prochaine et prêchait au peuple la résignation. Les litanies cependant retentissaient toute la nuit par la ville avec un redoublement de lamentations et de prières. Le peuple voulut y entraîner l’archevêque, qui sembla consentir d’abord ; puis, se rétractant, il leur dit : « Allez-y et priez, je serai avec vous en esprit, par la charité qui réunit le chef aux membres. »

Un acte impudent de Sévérien tira le peuple de cette tranquillité inquiète et douloureuse où le retenait l’ascendant de Chrysostome. Théophile n’avait pas osé reparaître à Constantinople, mais Sévérien eut cette audace le second jour après la condamnation ; il eut aussi l’audace d’entrer dans une église, de monter en chaire et d’y parler sur les événemens qui venaient de s’accomplir. Il présenta la condamnation de l’archevêque comme le châtiment de son orgueil. « Son orgueil seul l’eût justifiée, disait-il, quand bien même il n’eût pas commis d’autres crimes. » L’auditoire se souleva contre