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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


j’ai combattu et achevé ma course. Je connais Satan et ses embûches, il ne peut plus supporter la guerre que je lui livre par mes enseignemens ; Dieu me fasse miséricorde ! Vous, mes frères, souvenez-vous de moi dans vos prières. » Ce langage les remplit d’angoisse. Les uns restaient sur leurs siéges à sangloter, les autres, comme suffoqués par les larmes, se levaient, et après lui avoir baisé la tête, les yeux, la bouche, s’acheminaient vers la porte pour sortir. Cette agitation, ce bruit de sanglots et de gémissemens, les faisaient ressembler, nous dit un acteur de cette scène, Palladius d’Hellénopolis, à des abeilles inquiètes bourdonnant autour de leur ruche. Chrysostome arrêta ceux qui voulaient sortir. « Restez, leur dit-il, mes frères, asseyez-vous et cessez de pleurer de peur de m’attendrir davantage, car je vous redirai à satiété : « Le Christ est ma vie, et mourir m’est un gain. » — On faisait courir dans la ville le bruit que sa mort était sûre, et qu’il serait frappé de la hache pour crime de sédition et d’outrage à l’impératrice. — « Je vous l’ai répété bien des fois, mes frères, continua-t-il tristement, la vie présente n’est qu’un passage où douleurs et joies s’écoulent avec une égale rapidité, et ce monde-ci n’est qu’une grande foire, nous y achetons, vendons et repartons aussitôt. Sommes-nous meilleurs que les patriarches, que les prophètes, que les apôtres, pour que ce peu de vie qui nous est octroyé soit éternel ?… » Un des évêques dit en gémissant : « Si nous pleurons, c’est de nous voir orphelins, de voir l’église veuve, ses saintes lois bouleversées, l’ambition, l’impiété triomphantes, les pauvres abandonnés, le peuple sans enseignement… » Chrysostome, frappant de l’index de sa main droite la paume de sa main gauche, comme il faisait lorsqu’il était plongé dans quelque grave réflexion, l’interrompit à ce mot. « C’est assez, mon frère, lui dit-il, n’insistez pas ; mais, je vous le recommande encore, ne quittez point vos églises. La prédication n’a pas commencé par moi, elle ne finira pas avec moi. Quand Moïse est mort, n’a-t-on pas trouvé Josué ? Élisée n’a-t-il pas prophétisé après l’enlèvement d’Élie ? Qu’a servi de couper la tête à Paul ? Il laissait après lui Timothée, Tite, Apollo et tant d’autres. » Eulysius, évêque d’Apamée, prenant alors la parole, fit observer que, s’ils voulaient garder leurs églises, on les forcerait de communiquer et de souscrire. — « Communiquez, s’écria impétueusement l’archevêque, communiquez pour ne point faire de schisme ; mais ne souscrivez pas, car ma conscience ne me reproche rien qui mérite ma déposition ! »

La conversation en était là, lorsqu’on annonça les députés du synode du Chêne ; l’archevêque ordonna qu’on les fit entrer, et leur demanda d’abord quel rang ils tenaient dans l’église. « Nous