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ticles 15 et 25 : « il reçoit des femmes et reste avec elles ; seul à seul, jetant dehors tous les autres. — Il mange seul, et dans ses repas solitaires il mène la vie d’un cyclope, honteusement et voluptueusement. » J’ai parlé dans ces récits mêmes des orgies de cyclope et de tout ce qu’il y avait de calomnieux et d’absurde dans les faits d’intempérance attribués à Chrysostome. Quant à l’accusation de recevoir des femmes en secret, elle l’indigna plus que tout le reste. Il en était encore tourmenté au fond de son exil, d’où il écrivait à l’évêque Cyriacus, son ami : « Ils ont osé m’accuser d’adultère, les malheureux ! Si je pouvais montrer au peuple la frêle charpente de mon corps, ce serait ma seule justification, La mort m’a frappé tout vivant, et le corps que je traîne n’est déjà plus qu’un cadavre. »

Venaient ensuite des manquemens aux usages de l’église ou de simples singularités de la vie domestique de Chrysostome. « Il s’habillait et se déshabillait sur son trône épiscopal, et mangeait une pastille après sa communion ; il ne priait ni à l’entrée ni au sortir de l’église ; enfin il voulait être seul quand il se baignait dans une piscine publique, et faisait ensuite fermer les portes pour que nul ne se baignât après lui ; Sérapion était chargé de ce ministère. » C’étaient là en effet des choses bien graves pour condamner un évêque !

Telle était l’accusation, amplifiée plus tard par des libelles supplémentaires. Il fallait maintenant, suivant l’ordre de la procédure, la communiquer à l’archevêque présent, entendre ses réponses, le confronter avec les témoins, et Théophile lui envoya par deux membres du synode une citation à comparaître devant l’assemblée. Tandis que la députation traversait le détroit, une scène touchante se passait au triclinium de l’archevêché, où les évêques fidèles à Chrysostome étaient réunis autour de lui. Ils y causaient entre eux des infâmes manœuvres de Théophile, de l’illégalité du synode, des tristesses du présent, des chances plus tristes encore de l’avenir. « Comment, disaient ces évêques en parlant du patriarche, comment se fait-il qu’un homme accusé d’abominables crimes et mandé pour venir seul devant le prétoire ait osé amener avec lui toute une armée d’évêques ? Comment se fait-il que le sentiment des princes et des magistrats ait changé si brusquement, que d’accusé il soit devenu juge, et que la plupart des clercs de cette église se soient laissé prendre à ses corruptions ? » Chacun donnait la raison qui se présentait à son esprit, quand Chrysostome, comme animé du souffle de Dieu : « Priez, mes frères, leur dit-il, et, si vous aimez le Christ, que personne de vous ne déserte son église à cause de moi car je puis vous dire avec l’apôtre, le temps de mon immolation est proche,