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violentes n’étaient plus de son âge, l’affaiblissement de ses forces le lui disait assez : il résolut de quitter Constantinople au plus tôt, sans attendre Théophile.

Il était dans cette veine de calme lorsqu’une visite des Longs-Frères lui enleva ses dernières hésitations et détermina son départ. Quelques jours auparavant, le fils de l’empereur, le jeune Théodose, étant tombé malade, sa mère, qui avait le nom d’Épiphane en vénération, fit demander à l’évêque par un message quelques prières pour son enfant. « L’enfant vivra, répondit l’oracle assez rudement au messager, si sa mère ne favorise plus, comme elle le fait, l’hérésie et les hérétiques. » Il voulait parler des Longs-Frères. Cette dure réponse troubla le cœur d’Eudoxie. « Dieu tient la vie de mon fils dans ses mains, s’écria-t-elle avec angoisse, et il fera de lui ce qu’il voudra : Dieu me l’a donné, Dieu peut me le reprendre ; mais cet évêque n’a pas le pouvoir de ressusciter les morts, autrement il aurait ressuscité son archidiacre, qui lui a été enlevé il y a peu de temps. » Malgré ce raisonnement philosophique, le cœur maternel tremblait toujours, et Eudoxie, faisant venir près d’elle un des Longs-Frères, lui ordonna d’aller trouver l’évêque de Chypre et de se réconcilier avec lui. L’ordre était sans réplique. Les Longs-Frères se concertèrent donc, prirent le chemin de la maison d’Épiphane, et parurent à l’improviste devant le vieillard.

Épiphane ne les avait jamais vus. « Nous sommes les Longs-Frères, dit l’aîné d’entre eux, Dioscore, et nous venons savoir de toi, seigneur vénéré, si tu as jamais rencontré dans ta vie un de nos disciples ou lu un de nos livres ? » — « Jamais, » répondit Épiphane. — « Eh bien ! continua Dioscore, pourquoi nous condamnes-tu sans nous connaître ? Ton devoir n’était-il point, quoi qu’on ait pu te dire, de t’enquérir par toi-même avant de juger ? C’est ainsi que nous avons fait à ton égard. Nous connaissons tes disciples, nous connaissons aussi tes livres et en particulier celui que tu as intitulé l’Ancre de la Foi. Eh bien ! il y a des gens en grand nombre qui ne l’approuvent pas et soutiennent que tu es toi-même hérétique. Nous t’avons défendu, tes livres en main, quoique nous ne te connaissions pas. Pourquoi donc en notre absence, sans nous interroger, sans nous avoir vus, sans avoir lu nos livres, as-tu décidé que nous étions coupables ? » Dioscore se tut, et le vieil évêque comprit la leçon. Il causa avec ces moines honnêtes et sensés, fut content de leurs réponses, et bien des préventions s’effacèrent de son esprit. Ce commencement de réconciliation avec des hommes qu’il était venu poursuivre à Constantinople y rendait sa présence plus que jamais inutile, il accéléra donc ses préparatifs de départ. Le chagrin s’était emparé de lui, le remords peut-être. Comprenant trop tard qu’il avait été le jouet d’une intrigue où il