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de poids en rapport avec la densité de la terre. Il n’est pas jusqu’à la numération décimale qui serait exprimée en caractères symboliques sur plusieurs des parois de l’édifice. En un mot, les Égyptiens d’il y a quatre ou cinq mille ans auraient possédé un système métrologique complet plus parfait, nous dit-on, que le système métrique dont nous sommes si fiers, et ils en auraient gravé l’indélébile souvenir sur ce monceau de pierres. Il faudrait alors supposer qu’ils possédaient des connaissances étendues en astronomie et en physique. Quant à savoir d’où venait tant de science à des hommes qu’Hérodote représente comme très ignorans, M. Piazzi Smith se contente de dire qu’ils en avaient reçu les notions par inspiration divine. Il nous serait difficile de le suivre jusque-là. C’est une marche irrationnelle et sans issue que d’expliquer un mystère par un miracle.

Si M. Piazzi Smith se laisse entraîner trop loin dans la voie des déductions sous l’empire d’une idée exclusive, il lui reste du moins le mérite d’avoir avancé l’étude de la grande pyramide en consacrant ses loisirs et son habileté pratique d’astronome à relever des mesures exactes de cet indéchiffrable monument. Après les recherches consciencieuses et sagaces des savans français de l’expédition d’Égypte, après les travaux persévérans du colonel Howard Vyse, qui s’appliqua, il y a une trentaine d’années, à l’exploration minutieuse de ce colosse de pierre jusqu’en ses plus secrets recoins, il restait encore beaucoup à faire. Le sujet n’est pas épuisé, puisque ces efforts n’ont pas abouti à une solution dont la vérité soit évidente. Peut-être le mystère restera-t-il à tout jamais impénétrable, signe manifeste que les peuples primitifs eurent des idées, des connaissances, des préjugés ou des sentimens que l’esprit moderne, dérouté par l’immense acquis de la civilisation, n’est plus apte à concevoir. Après avoir bravé les révolutions et les conquêtes, les ravages du temps et de l’atmosphère et les atteintes plus redoutables des races humaines qui se sont débattues à ses pieds durant des milliers d’années, la grande pyramide est encore debout, œuvre unique au monde de grandeur et d’originalité.


L. Buloz